Mon ami Walter Battaglia m'appelle de Florence pour me parler de la grande peintre et graphiste autrichienne Verena Nusz, aujourd'hui tombée dans l'oubli alors qu'elle fut une des actrices les plus remarquables de l'art conceptuel. Née en 1949 à Tauka en Autriche, diplômée de l'Académie des Beaux-Arts de Munich, décédée en 1997 à la suite d'un accident de la route, elle fut un des piliers de la galerie de Konrad Fischer à Düsseldorf. C'est là que le critique Battaglia, proche de son contemporain Fischer (ils sont tous deux nés en 1939) a connu Verena Nusz et admiré son oeuvre. Mais Konrad Fischer, qui l'avait naturellement invitée à l'exposition Konzeption Conception qu'il avait organisée en 1969 au Städisches Museum de Leverkusen, est mort victime du cancer en 1996 et n'est plus là pour défendre sa mémoire. Tout comme Rolf Wedewer, co-commissaire de l'exposition de Leverkusen, disparu en 2010 alors qu'il préparait un livre de référence sur la carrière de Verena, une carrière brillante qu'elle avait volontairement interrompue en 1985, jugeant qu'elle était parvenue au terme de sa réflexion artistique.
Dans ses sérigraphies sur métal, par exemple Grey vibration n° 24 et 31, le mot noir apparaît près de trois cents fois, dans différentes langues, sans respiration, sans ponctuation sur cet ensemble de deux panneaux qui font partie d'une série de 38 réalisée en 1972 pour une exposition à Berlin qui se tint sur une grande partie d'un étage des magasins KDW. Le mot gris surgit comme intrus, né du mélange entre noir et blanc. Depuis le début, l'oeuvre de Verena Nusz se présentait comme une recherche permanente autour des mots et des phrases, liée à une réflexion mathématique et philosophique sur la couleur. Elle travaillait par séries de façon obsessionnelle, couleur après couleur. Chaque couleur était associée à une typographie et à une matière. Verena Nusz connaissait bien Carl Andre, Joseph Beuys, Lothar Baumgarten, Sigmar Polke et Gerhart Richter, rencontrés à New York (où elle s'était rendue très jeune) ou à Düsseldorf et qui exposèrent tous chez Konrad Fischer. Mais en fait, c'est son contact avec Joseph Kosuth qui fut déterminant pour elle, davantage encore que ses discussions avec certains membres du groupe Art & Language.
Joseph Kosuth, un des rares artistes américains à avoir une réelle culture en matière d'histoire de l'art, avait bien vu que, pendant longtemps, les plasticiens de son pays dépendaient de l'Europe, non pour son argent, mais pour son discours porteur de sens qu'ils empruntaient pour se sentir enracinés dans le XXe siècle. Il les voyait changer avec regret, car ils disaient au revoir au modernisme. Cela voulait dire pour lui que les européens, dès les années 60, étaient à nouveau capables de chercher dans leur propre culture un contexte pour travailler (c'est ce que faisait Verena Nusz) alors que les américains, comme lui-même, privés de toute histoire, devaient repartir de zéro. Nous voyons bien, en effet, qu'une pièce célèbre de Kosuth comme One and three Chairs (1965), lourde d'intentions radicales qui n'ont pas manqué d'impressionner, n'a aucun intérêt esthétique. Au contraire, si exigeante et minimaliste que soit la démarche de Verena Nusz, ses oeuvres nous apparaissent imprégnées de beauté. Austère certes, Verena Nusz n'a jamais coupé ses racines qui plongeaient dans le richissime héritage de l'art européen. Ce n'est pas le moindre intérêt de son travail, et cela seul justifie que l'on s'attache, avec Walter Battaglia, à l'arracher à l'oubli.
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