Avis de tempête, Marco Del Re, « Ecrits d'artistes », Beaux-Arts de Paris Edition, 224 p., 22 euro.
Comment pourrait-on définir un artiste tel que Marco Del Re ? Dire qu'il se trouve à la périphérie de la transavangardia italienne, mais est un peu absurde et surtout réducteur. Ce serait dire que Robert Malaval est à la frontière du Nouveau Réalisme ou que Christian Jaccard n'est qu'un suiveur de Supports/Surfaces. Mais cela permet déjà donner une vague idée de ce qu'il a tenté en peinture : sortir des poncifs de l'art pictural de l'après guerre, rejeter les grands courants consacrés, refuser les aspects radicaux du conceptualisme, et s'efforcer de reformuler la recherche picturale dans des termes novateurs et libres. En somme, il s'agit d'une forme d'équilibrisme, qui nous a valu de grandes réussites et des chutes spectaculaires, comme celle de Sandro Chia. En tout cas, il ne peut être comparé à personne en France. Romain d'origine, ayant vécu un moment à Venise, il a quitté son pays natal pour venir vivre à Paris, mais n'a pas renoncé à son esthétique. Sans doute, à force vivre en France, a-t-il regardé Matisse et Braque, un peu Chagall (pour ne citer qu'eux), mais il n'a jamais voulu devenir un peintre français. Toute la gloire de Modigliani ne repose-t-elle sur sa volonté farouche de préserver son italianité ? Dans ce recueil imposant, Marco Del Re rappelle ses expériences théâtrales lointaines, qui ont laissé des traces profondes et montre qu'il aime jouer avec les mots, allant d'une forme d'écriture à une autre de la description idiosyncrasique de ses tableaux jusqu'à la poésie visuelle, en passant par le récit poétique. Les quelques entretiens inclus dans le volume permettent de mieux comprendre et sa personnalité et aussi sa conception du peindre. C'est en fin de compte un livre intéressant car on a l'impression que l'artiste a multiplié les modes d'écriture, non par défi, mon par opportunisme, mais pour jouer avec tous les possibles qu'offre la littérature moderne. Quelques uns rappellent beaucoup des écrits du passé (je pense que son Petit traité de dessin fait un trop songer aux modestes carnets de Georges Braque. Mais il y a mieux dans ces pages, fort heureusement.
L'Heureuse feinte, D. A. F. de Sade, Folio, 112 p., 2 euro.
Ces petites nouvelles pourraient passer pour l'oeuvre d'un charmant libertin, qui aurait éprouvé le désir, comme Boccace, de mettre en scène les petits travers et les petits vices de la société de son temps. Rien ne transparaît ici de l'auteur de la Philosophie dans le boudoir et de Justine ou les malheurs de la vertu. Ces histoires pourraient être lues par des moniales, même s'il y est question de choses qui devraient restées dans le secret de l'alcôve ! Elles ont aussi le mérite de montrer que Sade était un merveilleux conteur et un styliste de valeur. Le choix de ces textes brefs me paraît judicieux, car à force de mettre en avant la monstruosité de l'auteur, on doit voir l'autre versant de son oeuvre, toujours animée par la relation des deux sexes, mais traduite par de petits contes plaisants et qui ne font état que ce que tout un chacun pourrait vivre, des phantasmes bien innocents et des perversions bien communes ! Et il nous rappelle aussi qu'il n'y a pas d'érotisme qui ne laisse transparaître des failles pernicieuses. Qu'on le veuille ou non, il faut l'admettre, c'est un domaine plein de pièges et de fantaisies plus ou moins obsessionnelles. Je n'apprends rien à personne.
Contes noirs, Ambrose Bierce, traduit de l'anglais (Etats-Unis) et présenté par Jacques Pay, Rivages poche, 160 p., 7 euro.
Contemporain de Mark Twain, l'oeuvre d'Ambrose Bierce (1842- 1914 ?) est à l'opposé de celle de l'auteur de Tom Sawyer ! On l'a souvent comparé à Edgar Allan Poe, c'est voir les choses de manière bien superficielle. Bien sûr, la mort, le satanisme, le mystérieux et le macabre ont une place de choix dans ses ouvrages. Mais on peut seulement dire que comme l'auteur des Aventures de Gordon Pym, il a eu une prédilection pour le fantastique. Ce natif de l'Ohio a pu voir la mort en face pendant la guerre de Sécession : il a combattu dans le camp des Yankees, appris du galon et a été sérieusement blessé en 1864. Il ne fait aucun doute que ce qu'il a vécu l'a profondément influencé et que ses écrits ont été imprégné de ces années de combats impitoyables. Une fois démobilisé, il se lance dans le journalisme sur lez côte Ouest, puis se rend en Angleterre mais ne parvient pas à s'y imposer et il rentre an Amérique en 1875. Il commence à rédiger les articles de son Dictionnaire du diable dans un journal à partir de 1881 (le livre ne paraitra qu'en 1906 sous le titre de The Cynic's Word Book). Les histoires courtes réunies dans ce volumes sont plus effrayantes les unes que les autres. Bierce révèle un aspect caché de ce pays jeune et plein d'espérances. Il y a dans ces récits effroyables une ombre sur cet optimisme, qui n'est pas sans rappeler l'affaire des sorcières de Salem. Il a connu le succès avec une littérature un peu tirée par les cheveux, mais qu'il sait construire avec beaucoup d'habilité. Et, aujourd'hui ses ouvrages, sont sans cesse réédités. Comme quoi, les peurs qu'il a su déceler chez ses contemporains ont la vie dure !
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