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[verso-hebdo]
19-02-2015
La chronique
de Gérard-Georges Lemaire
Chronique d'un bibliomane mélancolique

Van Gogh au Borinage, sous la direction de Sjaar van Heugten, Fondation Mons 2015, Fond Mercaror, BAM, 266 p., 39 euro

C'est un catalogue qui mérite d'entrer dans la bibliothèque de l'amateur d'art. Il nous présente les débuts de Vincent Van Gogh dans les borinages de la région de Mons. Son engagement religieux, qui a été profond et même ardent, s'est soldé par un échec cuisant. C'est alors qu'il prend la décision de se consacrer à l'art. Et il va commencer par représenter les hommes et les femmes qu'il a fréquenté pendant ces années 1870, leur univers. Ce qui frappe dans ces premières tentatives c'est qu'il s'est très vite inspiré non de modèles anciens, mais de modèles de lui dans le temps, comme Millet, qui est sa principale source d'inspiration et aussi son maître à peindre. Il a d'ailleurs fait plusieurs gravures tirées de son oeuvre. Les houillères ne ressemblaient pas alors à ce que nous avons connu par la suite : c'était un monde mi-rural mi-industriel. Avec une rapidité assez stupéfiante, le jeune artiste autodidacte parvient à faire une synthèse très personnelle des maîtres anciens hollandais et d'autres influences comme celle de l'auteur de L'Angélus. A ce propos, j'ai toujours été surpris que dans ses tableaux de sa période provençale, on voit souvent, en retrait, des signes de la vie manufacturière et que personne ne semble y avoir prêté attention. Ses paysages sont très souvent marqués par ce sceau qui annonce une métamorphose et de la Nature et de la vie des hommes de la campagne. Cet intérêt pour l'activité industrielle demeure chez lui, malgré sa passion pour les formes flamboyantes que lui offrent en don ces champs sous un soleil brûlant. Cet ouvrage nous apprend beaucoup de choses sur le mode de vie des mineurs, sur leurs conditions de travail pour le moins rudes, mais aussi sur ce que le jeune homme ressentait. Un certain nombre de lettres envoyées à son frère Théo reproduites en facsimilé relatent son conflit intérieur et aussi ses intuitions de peintre. C'est manifeste : Van Gogh abandonna ce registre sombre avec tous ces bruns tristes, ces figures ingrates d'êtres brisés par la tâches, ces scènes familiales d'une infinie mélancolie quand il est venu à Paris et y a découvert de visu l'impressionnisme qui lui ouvrit des horizons immenses. Mais plusieurs éléments dans sa manière de peindre et de représenter les figures subsistèrent par la suite. Ces déplacements impressionnants dans l'idée du tableau n'ont pas signifié l'oubli de ce passé. Il s'est surpassé, avec obstination et audace, mais ne s'est jamais renié. A consulter sans attendre !




La page de l'Antiquité à l'ère numérique, Anthony Grafton, traduit de l'anglais (Etats-Unis par Jean-François Allain, « Bibliothèque », Hazan, 232 p., 15 euro

Anthony Grafton commence son livre en partant du temps présent. Et au temps présent correspondant l'avènement du livre numérique, le kindle. Il est aussi possible de télécharger de nombreux libres anciens sur internet. D'une certaine façon, c'est un retour au volumen (rouleau) des Grecs et des Latins car les pages se déroulent verticalement ou aux écritures calligraphiques anciennes d'Extrême Orient. Est-ce là une révolution radicale ? Bien sûr, cela change non la forme du livre, mais son maniement. On ne tourne plus les pages et le support est uniforme. Tous les livres peuvent être lus de la même manière. Les caractères sont plus gris et il n'y a plus aucun rapport sensuel ou même sentimental avec l'objet. Le texte n'a plus de contexte éditorial. Il oppose ce livre stéréotypé à la forme étrange de la mise ne page du Talmud. Mais là il comment un erreur grave : il y a eu deux Talmud l'un dit de Jérusalem (Talmud Yarushalmi), c'est-à-dire, plus exactement, le Talmud palestinien, l'autre, dit de Babylone (Talmud Balvi), comprenant la Mishna et la Guemara. Les commentaires de Rachi (XIIIe siècle) et des tossafistes sont venus ensuite donner les clefs de ces textes assez difficiles à déchiffrer. Ces commentaires bien ultérieurs à ces écrits en hébreu et en araméen qui remontent aux IVe et Ve siècles, ne figurent que dans la première version imprimée à Venise par Daniel Bomberg au XVIe siècle. Sans entrer dans des considérations assez complexes sur ce livre qui est un questionnement sur la Torah, ce qui nous importe c'est l'étrange mise en page qui en a résulté. Mais c'est un excellent point de départ pour explorer l'univers du livre. Grafton montre comment on est passé du rouleau au codex, qui peut rassembler par la couture des pages plusieurs volumes, comme en témoigne Martial. Avec les chrétiens à partir du IIe siècle, le codex évoluer et prend la forme rectangulaire du livre tel que nous l'avons connu jusqu'à nos jours. Mais Grafton n'en donne pas la raison : c'est que cette forme de la page est défini par la croix. Les rouleaux sont païens, les livres chrétiens et l'on croit savoir qu'il n'y a jamais eu d'incendie de la bibliothèque d'Alexandrie, mais une destruction massive des ouvrages prisés par les uns ou les autres dans un long conflit pour s'emparer du pouvoir spirituel et puis du pouvoir temporel. Quoi qu'il en soit, l'étude de Grafton est d'une importance capitale car elle nous remet en tête l'évolution du livre à travers les siècles et toutes les mutations culturelles qui les ont accompagnées. Les livres ont permis mille combinaisons typographiques ou illustratives et cela il en fait une analyse fine et détaillée. Mais est-ce que la « révolution électronique » va tuer toute cette richesse ? Sans doute pas. Les moyens qu'elle nous offre déjà permettent d'élargir encore le champ graphique de la page. Mais il faut laisser le temps au temps !




Lanterne magique, Léon-Paul Fargue, Seghers, 168 p., 15 euro

Ce livre écrit pendant l'Occupation paraît en 1944. On y retrouve le meilleur de Léon-Paul Fargue (1876-1947), qu'on n'a souvent considéré que pour son merveilleux Piéton de Paris alors qu'il devrait figurer parmi les grands écrivains français du XXe siècle, en dehors du fait qu'il fut l'un des fondateurs de la magnifique revue Commerce. Il a eu pour sous-titre : « Chroniques littéraires de Paris occupé ». Il ne parle ni des Allemands, ni de la curieuse vie que l'on mène dans la capitale, ni encore de la Résistance. Non, Fargue revient sur ses petites passions de marcheur invétéré qui veut tout connaître de la capitale qu'il aime plus que tout. Il nous emmène au cinéma, dans des galeries d'art d'autrefois et visiter des expositions. Il nous invite à faire quelques promenades avec lui. Mais il se plaît surtout à traiter des thèmes qui excitent son intérêt. Il commence d'ailleurs par le livre et les corrections d'auteur, les encyclopédies, les bruits familiers, le flot de la foule, en somme de toutes sortes de choses qui appartiennent au monde citadin, mais qui ne pourraient pas faire l'objet d'une description, mais plutôt de considérations générales. C'est une autre façon de nous faire connaître le monde moderne, avec ses nostalgies et ses rêves futuristes. Fargue a écrit un petit dictionnaires des mots qui lui sont précieux non pour son écriture, mais pour sa poésie quotidienne, comme « flânerie », « matinée », « confiance », « formules ». Des figures illustres apparaissent et disparaissent au coin d'une page, des souvenirs s'égrènent aussi. Il peint avec une terrible lucidité la Saint Sylvestre de l'an 1942 comme un drôle de conte dans un drôle de pays. C'est un livre merveilleux qui manifeste son amour sans borne pour la vie, une vie qu'il a voulu vouée au culte des boulevards et des rues, des cafés et des boutiques, qui constituent la vraie beauté de Paris à côté de ses monuments célèbres et admirés. Chaque petit chapitre est une merveille ciselée avec un art consommé.




La République des Lettres, Marc Fumaroli, « Bibliothèque des histoires », Gallimard, 496 p., 25 euro

Il y a quelque chose de singulier et de paradoxal dans la méthode de Marc Fumaroli. Ce livre rassemble des essais qui ont pour dénominateur commun certains aspects de la littérature. Par exemple, il consacre un ensemble d'essai à l'art de la conversation, qui est un merveilleux sujet. Je me suis attaché à la dernière des parties de ce livre considérable, « Les vies ». Là aussi, on a à faire à un sujet superbe. Mais la curiosité de sa démarche est de prendre le XVIIe siècle, son siècle de prédilection, son jardin secret, comme le point de départ de son investigation, en remontant le cours du temps vers l'antiquité d'une part, et puis en progressant vers notre époque, enfin, presque. Si l'on reconstitue le rébus qu'il propose en procédant de la sorte, on a derrière nous les modèles antiques, Plutarque ou Suétone, aussi les vies des philosophes. Mais il omet de parler des vies écrites par les Pères de l'Eglise, les hagiographes, qui ont reconstitué les existences des saints et de tous ceux qui ont contribué à constituer l'histoire du christianisme. Tout comme les chroniques médiévales. La Chanson de Roland, pour ne choisir que cet exemple connu de tous, peut être considéré comme étant l'apologie de Roland et, en sous-main, celle de Charlemagne. L'Eloge, qui est pour lui la forme la plus haute de l'exaltation d'un destin humain est le sommet de ce que le Grand Siècle a pu produire. Et il pense que la France a été la source féconde de ce genre indépassable. Il évoque alors la faiblesse de ce genre de littérature en Angleterre, mais il conclue en parlant de The Life of Samuel Johnson de Boswell et va jusqu'à Lytton Strachey, qui change radicalement les modalités de reconstruction d'une vie selon une perspective démystificatrice. Bref, il pose un postulat inattaquable et disserte ensuite sur ce qu'a accompli Sainte-Beuve. Dans ce parcours un peu étourdissant et souvent lacunaire (qui trop embrasse.) il ne fait aucunement allusion aux vies des peintres qui apparaissent à la fin de la Renaissance (Michel-Ange, Raphaël), ni surtout aux Vite eccellente... de Giorgio Vasari. Bien sûr, il ne s'agit pas de toute évidence de la vie d'écrivains, c'est un truisme. Mais c'est un genre qui ne va pas cesser de prendre de l'importance et qui est repris en charge par des auteurs français au XVIIe siècle, comme André Félibien ou Roger de Piles : une histoire de l'art dominé par le génie italien change de main et devient une histoire dominée par le génie français qui est le seul capable d'assumer et d'enrichir cet héritage. En réalité, le genre des vies se diversifie et s'universalise. Il le remarque furtivement mais ne va pas au bout du raisonnement. Et dans le cas des arts plastiques, ce sont les prémisses de l'histoire de l'art qui se développent assez rapidement. Fumaroli voit dans le travail d'André Maurois le passage de ce genre à celui de la biographie avec son Byron. C'est possible. Mais il rate le plus important : à quoi ces vies ont-elles servi ? A construire une fiction historique et, dans le cas qui l'intéresse, fondamentalement « idéologique ». Sa grande culture est capillaire et assez désorganisée. Elle ne met pas en relief ce qui peut donner une ou plusieurs dimensions à un mode de littérature. Mais ne nous plaignons pas : ces pages apportent malgré tout assez de choses pour nourrir notre esprit et justement voir où il peut y avoir des failles dans une représentation du passé.




Une muse savante ?, Adrian Armstrong et Sarah Kay, Classiques Garnier, 328 p., 39 euro.

Saviez-vous qu'au XIIIe siècle la culture médiévale change radicalement pour privilégier la prose au détriment de la poésie ? Moi, je l'ignorais, je le confesse. Cette remarquable étude, très savante mais aussi très lisible, nous fait comprendre comment le « roman » l'a emporté avant que la poésie ne retrouve un peu de valeur aux yeux des lettrés. Le pivot de cette affaire est sans nul doute le Roman de la Rose de Jean de Meung (Christine de Pisan en fera la cible privilégié de ses attaques en voulant plaider en faveur d'une autre forme de littérature) car elle joue sur une ambiguïté formelle. Quoi qu'il en soit, les premières réactions contre cette prépondérance de la prose se font jour dans le monde occitan avec des traités poétiques. Cette rivalité est à l'origine d'une nouvelle « poétrie ». L'un des premiers auteurs à venir au secours de cet art méprisé est Jacques Legrand (vers 1360-vers 1418) avec l'Archiloge Sophie (rédigé entre 1398 et 1401). Cet ouvrage a été écrit en français par cet ecclésiastique qui a été le confesseur de Charles VI. C'est un travail de caractère encyclopédique, qui veut que la poésie soit mieux adaptée pour traduire par les mots l'allégorie. Après quoi apparaît une poésie de la méditation qui a été aussi le véhicule d'un certain savoir. En somme, sans entrer dans toutes les subtilités (et les complexités) de la question, on comprend que la poésie ne peut avoir d'issue qu'en s'élevant dans la sphère de la morale et du savoir. L'enquête menée par les deux auteurs est absolument essentielle pour comprendre comment une nouvelle littérature en vers va pouvoir vraiment germer et s'imposer au terme du Moyen Age. Et la dimension morale va utiliser une forme populaire pour trouver un large écho dans la fable. Sans compter les translations vernaculaires de Virgile et l'Ovide moralisé, écrit au début du XIVe siècle. Ce livre mérite d'être lu même par un profane. Presque tous les lieux communs sur la période médiévale tombent comme des châteaux de cartes. Et il nous fait toucher du doigt tous les mécanismes qui ont permis la résurgence de l'art poétique dans un contexte hostile et le retour en force de la culture gréco-latine qui, il faut s'en souvenir, n'a jamais été totalement gommée, comme on a trop tendance à le croire.




Le Diable boiteux, Alain-René Lesage, édition de Bernard Leterrier, « Folio classiques », 352 p., 7 euro

D'Alain-René Lesage (1668-1747) , nous n'avons conservé que le souvenir d'un seul livre, le Diable boiteux, paru en 1707 et qui a connu alors un immense succès. Ce succès ne s'est jamais démenti jusqu'à nos jours. Si ce roman se présente comme une histoire fantastique, ce n'est pas exactement le cas : c'est plutôt un roman de moeurs. Le diable permet à notre héros de voir ce qui se passe dans toutes les maisons de Madrid, des plus cossues aux plus humbles. C'est bien entendu savoureux, cocasse, un peu léger, mais sans excès de libertinage. De son modèle espagnol, Luis Vélez de Guevara, qui avait écrit el Diablo cojuelo, il retient un esprit, un peu picaresque et aussi hautement pittoresque. C'est une façon très divertissante et astucieuse de nous présenter comme on vivait à la fin du long règne de Louis XIV. Le procédé narratif permet d 'échapper aux longueurs caractéristiques du genre romanesque du XVIIe siècle et de ses conventions. C'est une oeuvre mémorable, mais elle n'est jamais parvenue à s'imposer comme un chef-d'oeuvre. Peut-être parce qu'il s'agit d'un ouvrage de transition entre deux époque et aussi un cas particulier. On s'y amuse beaucoup et on le dévore pour découvrir les scènes croustillantes qu'on peut y glaner, mais il n'a pas la force du Decameron de Boccace, par exemple, ni sa verve féroce. C'est un livre badin et moqueur, mais qui n'a pas l'ambition de tailler en pièce la société qu'il met à nu. Il connaît aussi un succès tout aussi considérable avec Gil Blas de Santillane (1715-1735), dont tout lycéen français conserve un vague souvenir. Il se voulait dramaturge, il a été un romancier célèbre. Ses pièces périrent et ses romans survécurent.




Une vie, Guy de Maupassant, édition de Delphine Morel Vacher, « Folio plus classiques », 352 p., 4,60 euro

C'est le premier roman de Guy de Maupassant. Il a paru en feuilleton dans le périodique Gil Blas en 1883. C'est un mélodrame dans le sens le plus pur du terme. L'histoire de cette femme, Jeanne Le Perthuis des Vauds, fille d'aristocrates campagnards, passe son enfance au couvent. Elle en sort et se retrouve mariée peu après Julien de Lamare, qui se révèle un homme égoïste, méchant, avare et libertin. Il ne tarde pas à la tromper avec sa domestique, Rosalie, puis avec une de leurs voisines. De plus, Jeanne donne naissance prématurément à un garçon à la santé délicate. En somme, son existence n'est que déception et tristesse. Et les choses ne s'arrangeront pas par la suite car son fils se montrera irresponsable et dépensier. Il va la ruiner complètement. Elle devra vendre la propriété familiale pour subvenir à ses besoins. Par bonheur, Maupassant a un sens inouï de la narration et sait rendre avec concision une situation. Si l'histoire, dans son excès naturaliste, n'aurait guère mérité de passer à la postérité, le talent de son auteur l'a sauvé avec cette remarquable maîtrise de l'écriture. Plus doué pour les nouvelles que pour le roman, Maupassant parvient deux ans plus tard à donner une oeuvre plus conséquente, Bel Ami, mais à laquelle on peut adresser des reproches assez similaires. Il faut attendre Fort comme la mort et Notre coeur pour qu'il trouve une meilleure maîtrise du genre. Sans doute a-t-il voulu s'en prendre aux poncifs moraux de son époque. Mais il parvient surtout à faire le portrait d'une femme bafouée qui ne peut connaître autre chose que les plus grands malheurs !




Byron, Daniel Salvador Schiffer, « Folio biographies », 368 p., 9 euro

Cette nouvelle biographie de Lord Byron nous fait regretter celle d'André Maurois, qui, en dépit de ses défauts et aussi des documents qui n'étaient pas accessibles à son époque, avait brossé du poète anglais un portrait digne de ce nom. Nous avons entre les mains une histoire reconstituée à la hâte et sans beaucoup d'idées. Rien de novateur en tout cas et rien qui nous fasse apparaître l'auteur du Corsaire sous un éclairage différent. C'est vraiment dommage. Le plus curieux dans l'affaire est que l'auteur de cette monographie express fait beaucoup de citations, ce qui est une bonne chose en soi, à condition d'en tirer une analyse solide ou de nouvelles pistes pour le déchiffrer. Je prendrai pour seul exemple la fin de ce récit, quand il se trouve à Missolonghi pour défendre la cause des Grecs contre l'asservissement ottoman. Le panhellénisme a beaucoup marqué l'intelligentsia l'Europe occidentale, comme le prouve les deux expositions de la galerie Lebrun, l'engagement (pictural) de Delacroix, les Orientales de Victor Hugo par la suite. L'Orient n'est plus celui des croisades comme l'avait perçu (implicitement) Chateaubriand ou, même, après lui, Lamartine. Non c'est l'Orient qui se révèle et qui va conduire à une littérature et à un art spécifiques. Quand il en vient à parler des derniers mois de la vie de Byron, il cite une lettre qui avait paru pour la première fois en France il y a une poignée de décennies dans la revue Romantisme : celui-ci fait part de sa déception de voir Grecs et Turcs commettre les mêmes atrocité. Quelle conclusion ? Aucune ! Mais le chapitre commençait bien mal par ces propos emphatiques : «  C'est donc comme un éternel repos - le repos du guerrier - que Byron fatigué par les vicissitudes de la vie et déçu par le comportement des hommes, sans plus aucune illusion à leur égard, entrevoyait sereinement en ce début d'année 1824, sa propre mort. » Des mots et rien que des mots, jetés en pâture pour changer l'écrivain en une sorte de héros désabusé.




Truman Capote, Liliane Kerjan, « biographies Folio », 304 p., 8,50 euro

Voilà une honnête biographie de cet écrivain américain qui a défrayé la chronique pour ses outrances et ses extravagances, son homosexualité tapageuse, sa férocité et ses bons mots mais aussi par sa littérature d'enquête comme le montre le livre qui l'a rendu célèbre, De sang froid. L'auteur a narré avec concision les grandes étapes de sa carrière et ce qui l'a rendu si différent dans le contexte culturel américain de l'après-guerre. Il a eu une vie mondaine intense, qui lui a permis d'écrire sur les grands personnages de son temps, de Marylin Monroe à Tennessee. Il laissé de très beaux souvenirs sur tous ceux qui ont fait de l'Amérique un grand centre névralgique de l'intelligentsia (on en trouve une bonne partie dans le Quarto » qui lui est consacré). Sa relation avec Andy Warhol, qui a été si importante pour ce dernier, puisque c'est dans cette aventure. « J'admire ceux qui savent se servir des mots », a déclaré Andy Warhol dans sa Philosophie de A à Z. « Et je trouvais», ajoutait-il, que Truman Capote occupait si merveilleusement l'espace avec des mots qu'à peine arrivé à New York je me suis mis à lui envoyer de brèves lettres d'admiration et à l'appeler au téléphone tous les jours jusqu'à ce que sa mère m'enjoigne d'en rester là. » Fasciné par l'auteur de « Miriam », Warhol s'inspira en 1952 d'une sélection de nouvelles pour des dessins « Andy Warhol : Quinze dessins d'après les écrits de Truman Capote ». Après bien des efforts, il réussit à approcher son idole ; en 1973, ainsi, il réalise un entretien fleuve avec lui pour le magazine Rolling Stone, où il retranscrit intégralement tout ce qu'il fait et dit avec son invité sans jamais parler de ses livres. Les deux hommes en vinrent même à travailler ensemble dans Interview, le magazine d'Andy Warhol.
Gérard-Georges Lemaire
19-02-2015
 

Verso n°136

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