La Figuration narrative est d'actualité. Hervé Télémaque, son fondateur avec Rancillac, triomphe au Musée National d'Art Moderne (en attendant, dans les mêmes lieux, Gérard Fromanger l'année prochaine), on a beaucoup commenté la récente rétrospective de Jacques Monory à la fondation Leclerc de Landerneau, et l'on parle maintenant de La Résistance des images, en ce moment à la Patinoire royale de Bruxelles sous l'égide de l'ancien ministre de la culture Jean-Jacques Aillagon. Les quatre peintres que je viens de citer sont d'incontestables figures historiques de la Figuration narrative, au même titre que, par exemple, Erró, Klasen, Naccache, Velickovic, Arroyo, Aillaud et Recalcati. Les choses se compliquent quand, dans une exposition comme celle de Bruxelles, s'ajoutent des noms inattendus, comme celui d'une artiste pop belge aujourd'hui disparue. Bien sûr, M. Aillagon et son assistant, Guillaume Picon, ont pris soin de donner à leur exposition un titre qui ne signifie pas grand chose et n'engage à rien (la figuration, n'est-ce pas, « résiste » à l'abstraction...), mais il n'empêche que les commentateurs la considèrent comme une exposition de la Figuration narrative qui voudrait corriger les choix calamiteux de celle de 2008 au Grand Palais, laquelle s'intitulait fièrement Figuration narrative, mais en faisant comme si ce mouvement s'était arrêté net en 1972.
Les choses se compliquent encore quand on constate qu'au moins un peintre important présent à Bruxelles déclare fermement ne pas appartenir à la Figuration narrative et n'avoir participé à l'exposition de 2008 que « contraint et forcé ». Il s'agit de Valerio Adami que j'entends encore me dire il y a une quinzaine d'années, alors que je venais lui demander des photographies pour un livre que je préparais sur le mouvement : « il faut que tu saches que je ne fais pas partie de ces gens-là... » La complication devient extrême si l'on cherche la lumière dans les écrits de Gérald Gassiot-Talabot, le jeune critique de 1964 que Rancillac et Télémaque étaient allés chercher pour préfacer leur exposition Mythologies quotidiennes (où l'on trouvait notamment Jean Tinguely et Niki de Saint Phalle qui n'avaient rien à voir avec ce que l'on allait appeler la Figuration narrative sous la responsabilité de Gassiot-Talabot). En effet, ce dernier allait évoluer dans sa manière de définir le mouvement, insistant d'abord sur la temporalité dans les images, et finissant par ne retenir que la dimension politique des oeuvres. Il allait même sciemment brouiller les cartes quand, commissaire de l'exposition Mythologies quotidiennes 2 en 1977, il inviterait beaucoup de monde (beaucoup trop selon Bernard Rancillac, qui, avec réticence, avait pris part à la sélection), dont des peintres certes de grand talent, mais étrangers à ses propres définitions, comme par exemple Constantin Byzantios).
Qu'est-ce donc que la Figuration narrative et qui sont ses protagonistes légitimes ? Peut-être la bonne solution, pour répondre à ces questions devenues très actuelles, serait-elle d'admettre qu'appartiennent à la Figuration narrative les peintres qui satisfont à deux conditions fondamentales : 1°) Introduire une dimension politique dans leurs oeuvres, répondant ainsi à un constat de Gassiot-Talabot en 1996 : « L'évolution logique de la Figuration narrative a été la peinture politique. » 2°) Déclarer clairement leur volonté d'appartenir à ce courant artistique. De la sorte, il ne fait aucun doute qu'un Gérard Guyomard, qui fut d'ailleurs préfacé par Gérald, un Ivan Messac, plus jeune que les « historiques » mais proche d'eux dès ses débuts, un Herman Braun-Vega grand admirateur des maîtres passés, mais n'oubliant jamais les conflits de classe dans son Amérique du Sud natale, sont des peintres de la Figuration narrative sans discussion possible. Tous les véritables artistes de la Figuration narrative sont des témoins de l'Histoire en train de se faire, tous ont quelque chose à dire, et tous n'ont que faire de la décoration, rejoignant en cela une déclaration tranchante de Bernard Rancillac : « L'art pictural, dans sa finalité sinon dans sa technique, n'a rien à voir avec les pratiques décoratives, il ne vise pas à plaire mais à émouvoir... » A partir de là, on pourrait s'amuser à faire le compte un peu vain des absents à Bruxelles et de ceux qui y sont et qui ne devraient pas y être, du strict point de vue de la Figuration narrative naturellement !
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