Trois entrées possibles - il en est bien sûr d'autres - pour approcher Jérôme Zonder.
En offrant à Jérôme Zonder une impressionnante exposition monographique, Fatum, ce long parcours, conçu par l'artiste, qui nous enfonce dans les ténèbres, La Maison rouge devient jusqu'au 10 mai une périphrase pour dire... enfer. Enfer de la violence, de la barbarie, de l' « inhumanité universelle ». Du sadisme individuel, illustré par des scènes effrayantes de perversion, à l'effroyable, monstrueuse Shoah (dessins à partir de quatre photographies de chambre à gaz, et de la libération des camps), l'enfer dessiné par Jérôme Zonder témoigne d'une innocence à jamais perdue. L'enfance innocente ? Zonder s'inscrit clairement dans le modèle freudien de l'enfant « pervers polymorphe ». Les « progrès » de l'humanité ? Zonder nous dit : « La Shoah, Hiroshima, le Rwanda... ces trois événements interrogent le moment de limite que nous avons atteint dans l'histoire du corps de l'homme, et qui constitue le noeud de mon travail ». Parallèlement à Fatum, il est intéressant de visiter l'exposition que Beaubourg consacre à Jeff Koons : Jérôme Zonder, dans la forme comme dans le fond, c'est l'anti-Jeff Koons, son antithèse absolue ! Aucune séduction par les thèmes, les couleurs, les volumes, le kitsch, l'Éros pulpeux, l'éden de la consommation. Avec Zonder, aucune consolation, aucune échappatoire : l'homme, structurellement pervers, est travaillé par la pulsion de mort dès l'enfance. Les fabuleux progrès de la technique, au XXème siècle, ont nourri davantage encore les puissances du Mal. Où allons-nous ? La fin du parcours : une obscurité totale...
Né en 1974, sorti des Beaux-Arts en 2001, Jérôme Zonder est bien un fils de son temps. Boulimique des arts visuels, il a complètement assimilé l'imagerie des « cartoons », les personnages mythiques de cinéma, les graphismes de certains bédéistes (Edika, Bruno Richard, Gotlib) ; il s'est avec malice promené dans ce qu'il appelle lui-même le « bordel idéologique » de notre époque où se côtoient Disney, Guevara, la libération sexuelle, etc. ; il a été, comme tous les autres, envahi par les jeux vidéo, les séries américaines violentes, la pornographie omniprésente, les films d'animaux et leurs macrophotographies, les simples smileys, etc. Et il a intégré toute cette culture de masse pour amplifier son questionnement sur la représentation. Car le dessin académique, même nourri aux meilleures sources (Zonder a étudié, et patiemment copié, les maîtres, comme Bosch, Dürer, Ingres, Degas), ne fonctionne plus pour élaborer une figuration critique. Il peut nous offrir encore des représentations froides, classiques, des icônes parfaitement maîtrisées, comme on en voit chez un Hucleux par exemple. Mais, pour déstabiliser le spectateur/voyeur, Jérôme Zonder se livre à des télescopages de thèmes, de répertoires esthétiques et de genres graphiques qu'il insère dans des compositions très structurées, offrant du coup plusieurs niveaux de lecture et différentes interprétations. Confrontant les styles de la culture populaire et ceux de l'art classique, Zonder introduit, après l'horreur du figuré, une seconde crise dans la représentation, celle du figurant.
Qu'il l'accompagne ou s'en défende, Jérôme Zonder s'inscrit pleinement dans une logique de la virtuosité. En se consacrant exclusivement au dessin en noir et blanc (graphite, fusain, rotring, encre, acrylique), en se contraignant à ne pas utiliser de gomme, en travaillant sans relâche à partir des techniques des plus grands maîtres, en maîtrisant toujours plus le geste graphique jusqu'à repousser les limites connues du dessin, Jérôme Zonder peut exécuter maintenant les partitions graphiques les plus ardues, les plus acrobatiques... Alors certaines de ses oeuvres n'ont-elles pas également pour but de mettre en valeur des qualités magistrales d'exécutant, tout comme un Liszt sut le faire pour certaines oeuvres pour piano ? Deux ans durant, au sortir de sa formation, Jérôme Zonder a travaillé exclusivement à la mine de plomb et à la pointe Bic sur des autoportraits. Et cela pour parvenir à une précision millimétrique qui rendra possible sa méthode d'accumulation patiente de « minuscules portions d'espace » aussi bien que ses « dessins cellulaires » où coexistent le minuscule et le volumineux (cf. L'autre #1). Virtuosité qui en impose, à l'évidence, aux visiteurs... Les fruits du dessin (de #17 à #23) représentent des visages d'adolescents devant leur ordinateur. On ne voit pas l'écran d'ordinateur, et l'extrême difficulté consiste à suggérer, par de subtiles nuances de valeurs dans les gris, une luminescence sur des visages juvéniles... Pure virtuosité ! De même, ses minutieuses études de mains (Les fruits du dessin #30 et #41), ou alors ces travaux extraordinaires, pointillistes, avec des traces de doigts enduits de poudre de graphite : une habileté époustouflante ! Toute cette virtuosité, cette exaltation du travail d'exécution, comme valeur cardinale, doivent sans aucun doute interroger l'artiste sur les devenirs de son oeuvre...
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