J'ai parlé en 2013 de la « présence des dinosaures » notamment à propos du groupe Objectal qui effectuait un retour sur la scène artistique depuis 2011 grâce à deux expositions organisées par Robert Bonaccorsi, le grand spécialiste de la deuxième génération de la Figuration narrative, née dans les années 40 (cela avait commencé avec Bicephale Painting 1978-2011 à la Villa Tamaris de La Seyne-sur-Mer). Eh bien cette présence s'accentue, et les amateurs de peinture s'en réjouiront : après la Galerie Le Garage d'Orléans en été 2013, la galerie Anne-Marie et Roland Pallade de Lyon au printemps 2014, le voici invité par Sabine et Alain Matarasso à Paris : son exposition galerie du Centre va du 16 septembre au 11 octobre. Je dis le groupe et je ne suis plus à jour : il y avait bien « groupe » dans les années 70, au moment où Bernard Dreyfuss et Claude Pougny déclaraient que « l'activité s'est clivée dans le discours pictural du groupe », mais maintenant, c'est un peu différent, ce que traduit fort bien Gilbert Lascault : « Longtemps, Objectal s'est donné le nom de groupe Objectal, mais il ne souhaite plus se présenter comme un collectif, comme une association, comme une bande, il choisit d'être un individu à double corps. »
Cet individu à double corps, dit simplement « Objectal », se place aujourd'hui sous le double parrainage de Gauguin et Van Gogh en intitulant son exposition Fantasmes de Paul - Rêveries de Vincent. Qu'est-ce à dire ? « Nous souhaitons comparer la vie de Van Gogh et celle de Gauguin, le drame de l'un et la vengeance sur l'autre » a dit Bernard Dreyfuss. Que l'on se rassure : les vies de nos deux artistes en un n'ont rien à voir avec la tentative fusionnelle avortée de 1888, où l'on vit un Vincent hors de lui se précipiter sur Paul un rasoir à la main, ne pas le blesser mais retourner l'arme contre sa malheureuse oreille. Il nous reste de cette péripétie célèbre Vincent peignant des tournesols par Paul et les deux versions du Portrait de l'artiste par lui-même à l'oreille coupée par Vincent. Rien de comparable chez Bernard et Claude, et surtout pas de mutation radicale par rapport à leur point de départ historique, le bol. « Tout est parti d'un bol. En fait je suis un grand collectionneur. Et pour moi, cet objet du quotidien est un objet social où l'on raconte des histoires, déclare Bernard, un support idéologique fort avec des représentations parfois surprenantes. Une vraie source d'inspiration. » Claude ayant entièrement fait sienne cette déclaration de principe, une oeuvre commune d'une réjouissante originalité a proliféré depuis au moins Amoco Cadiz, Mont-Saint-Michel, marée noire (1976) jusqu'à aujourd'hui.
Robert Bonaccorsi voyait dans le bol selon Objectal « un creuset inépuisable de sujets, de thèmes, qui favorise les analogies et les improvisations mûrement réfléchies, les coqs-à-l'âne visuels ». Ajoutez à cela la mise en commun des pratiques et vous avez, sinon des clés, du moins de quoi ne pas vous inquiéter en voyant les visages plutôt sévères (halluciné pour l'un, renfrogné pour l'autre) de Vincent et Paul voisiner avec Pinocchio, le méchant dompteur de Dumbo, les glaneuses de Millet, Mickey ou une belle créature aux seins nus... Avec ou sans bol, la peinture est décidément le lieu de toutes les libertés. L'exposition de Lyon avait pour titre Le Mystère Objectal (c'était celui de la préface de Bonaccorsi) car il y a bien, dans l'usage qu'Objectal fait de sa liberté, un mystère (un « motif dans le tapis » qui implique un minimum d'exégèse). On peut rire à la vue de ces oeuvres, bien plus sérieuses qu'elles n'en ont l'air, de Bernard et Claude, mais pas trop, car cet individu à double corps a peut-être des raisons sérieuses d'avoir choisi de fonctionner ainsi depuis tant d'années. Bernard Dreyfuss a peut-être un jour vendu la mèche devant une journaliste, Julie Poulet- Sevestre : « Travailler à deux, ça libère par rapport aux styles, ça donne de la liberté. Et puis à deux, il y a moins d'angoisse. »
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