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[verso-hebdo]
09-10-2014
La lettre hebdomadaire
de Jean-Luc Chalumeau
La gloire de Jules de Balincourt
Depuis quelques années, on avait vu apparaître un nouveau nom dans la sacro-sainte liste du top 500 des artistes mondiaux : Jules de Balincourt. Un nom et un prénom originaux, que l'on dirait ceux d'un rentier des années 1880 dans une pièce de Labiche ou Feydeau. Mais c'est le vrai nom de ce peintre classé « français » par Artprice. Dans le « Top 500 Artistes contemporains 2010-2011 » (ventes aux enchères entre le 1er juillet 2010 et le 30 juin 2011), Balincourt apparaissait alors à la 180eme place. Après Jeff Koons certes, mais loin devant des artistes aussi considérables que Jeff Wall, David Lachapelle ou Barbara Kruger. Le produit des ventes en salles publiques de Jules de Balincourt atteignait 580.000 euros, un seul tableau de lui ayant trouvé preneur à 204.000 euros : la gloire en somme. Mais pour le dernier classement publié, celui de 2012-2013, patatras : notre français a disparu de la liste : il serait donc maintenant placé après le 500e, un obscur chinois nommé Tang Zhigang, qui a tout de même vendu un unique tableau pour 180.000 euros. Plus grave encore pour l'observateur patriote : Jules de Balincourt n'est plus français, son marchand Thaddaeus Ropac le présente comme « artiste américain né en France » !

On peut voir les tableaux récents de Jules de Balincourt jusqu'au 18 octobre à la galerie Thaddaeus Ropac du Marais, 7 rue Debelleyme sous le titre Blue Hours. Les titres sont en anglais, ce que l'on peut considérer comme normal, puisque l'artiste est devenu américain (après tout, il vit aux Etats-Unis depuis l'âge de 10 ans. Il a 42 ans aujourd'hui et s'est fixé à New York). Le communiqué de presse nous informe fièrement que l'artiste Jean-Marc Bustamante a qualifié Balincourt de « Houellebecq de la peinture ». Est-ce vraiment un compliment ? Cela déconcerte un peu, mais c'est une piste : le célèbre écrivain ne s'est-il pas spécialisé dans la description des misères de l'Occident décadent, celui du tourisme sexuel et des magouilles du marché de l'art portant au pinacle des pseudo-artistes aussi nuls que Damien Hirst ? Cela dans un style désespérément plat qui n'a pas empêché Michel Houellebecq d'obtenir le prix Goncourt avec La carte et le territoire (pour bien préciser les choses, n'a-t-il pas intitulé un autre ouvrage Plate forme, c'est-à-dire forme plate ?).

Donc, armés de ces indications préliminaires, regardons le tableau emblématique de l'exposition, celui que reproduit en couleurs le communiqué de presse : Underneath the Trees They Listened... and Heard Silence, 2014. Huile sur panneau, 203,2 x 177,8 cm. Il convient de traduire : Sous les arbres ils écoutaient... et entendaient le silence. Sous de très grands arbres verts se détachant sur un ciel noir (ce serait donc la nuit ?) on voit de petits personnages assis par terre deux par deux, bien éclairés (il n'y a pas de projecteurs visibles, ce serait donc le jour ?) On est tenté un instant de penser à une rave party, mais ce n'est surtout pas cela, puisqu'il nous est précisé que ces gens n'entendent pas de la musique électronique underground, mais le silence. Alors ? Observons que ces petits personnages sont traités par un pinceau rapide (comme toute la composition) et qu'ils apparaissent presque transparents. C'est de l'huile, oui, mais très diluée, et nous avons une apparence d'aquarelle. Jules de Balincourt aurait-il en tête Le Déjeuner sur l'herbe de Manet, dont les personnages assis dans l'herbe ne faisaient pas grand-chose (c'est justement ce qui déclencha le célèbre scandale) ? Rien de comparable ici (d'ailleurs, il n'y a pas de femme nue). Le communiqué de presse vient à notre secours : « Il crée des mondes à partir de couleurs vives auxquelles il réagit dans un état d'intuition primitive et subconsciente. » Les couleurs sont vives en effet, elles sont même acidulées. Ces jeunes gens ont-ils pris de l'acide ? Peut-être, mais la réponse est dans le subconscient de l'artiste qui, pour nous, est hors d'atteinte. Il ne reste qu'à scruter l'oeuvre. Ce n'est pas mal peint. Ce n'est pas bien peint non plus d'ailleurs. C'est peint, voilà tout, aussi platement que peut écrire Houellebecq (« sans dessin ou autre document préparatoire » nous dit encore le communiqué : on s'en serait douté). On souhaite de bon coeur à Jules de Balincourt de retrouver sa cote mirifique de 2011. Mais s'il l'atteint ou la dépasse, on se demandera tout de même pourquoi.

www.ropac.net
J.-L. C.
verso.sarl@wanadoo.fr
09-10-2014
 

Verso n°136

L'artiste du mois : Marko Velk

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