Qui est Najia Mehadji ? Au moment où il présente plusieurs vidéos consacrées à son oeuvre, l'Institut du Monde Arabe la décrit comme une « artiste visuelle » : « Diplômée en arts plastiques et en histoire de l'art à la Sorbonne, elle étudie le théâtre et enseigne la musique de 1972 à 1982. À partir de 1998, elle enseigne aux Beaux-Arts de Paris. L'oeuvre de Najia Mehadji se singularise par une abstraction issue à la fois de la musique contemporaine et d'un travail sur le corps qu'elle pratique dans un contexte expérimental intégrant le dessin et le son... » On a vu récemment ses travaux à partir des gravures de Goya (Le peintre et l'arène au Musée d'Art Moderne de Céret, 2014) et, jusqu'au 29 novembre, le tout nouveau Institut Français d'Essaouira (la ville où elle a un vaste atelier et où elle vit la moitié de son temps), lui a donné carte blanche pour réunir son « musée personnel ». A côté de nombreux artistes marocains ou issus du monde arabe, Najia Mehadji, qui se présente toujours comme une « franco-marocaine », a invité ses amis Mark Brusse, Ernest Pignon-Ernest (son voisin à Ivry, où elle réside l'autre moitié du temps), Philippe Cognée, Jean-Pierre Raynaud et Barthélémy Toguo. On comprend, dans l'énumération des membres de son musée personnel, à quel point la rencontre des traditions artistiques des deux cultures auxquelles elle appartient lui tient à coeur.
C'est pourquoi Najia Mehadji incarne aujourd'hui le désespoir de ceux qui, issus du monde arabe, constatent que, depuis le tragique 11 septembre 2001, le déferlement de l'imbécillité criminelle des tueurs au nom d'Allah a réduit dans l'opinion occidentale le « musulman » aux clichés du terrorisme et de la burqa. Cela fait longtemps qu'elle a entrepris, en tant qu'artiste, de réagir au tragique de l'Histoire. Déjà, en 1993, bouleversée par la destruction de Sarajevo - la ville qui symbolisait la coexistence harmonieuse des trois monothéismes - elle avait réalisé sa série des Coupoles. Elle privilégiait alors les formes transculturelles dans l'architecture (l'octogone) et faisait référence à la cosmologie des arts de l'Islam. Plus tard, en 2005, ses dessins de fleurs fluorescentes intégrant des détails agrandis des Désastres de la guerre de Goya faisaient écho aux violences du Proche-Orient. Aujourd'hui, un livre magnifique intitulé La révélation du geste lui est consacré, avec notamment les signatures de Pascal Amel et de Christine Buci-Glucksmann.
La couverture de l'ouvrage, et le fascinant dernier chapitre, sont consacrés aux oeuvres numériques de 2009 à 2014, avec en particulier la série Mystic Dance, à propos de laquelle l'artiste s'exprime en ces termes : « Aujourd'hui où une part de l'art contemporain se veut résolument désincarnée, ma proposition d'agrandir l'un de mes gestes avec la technique du numérique permet, à l'inverse, de mettre en relation les nouvelles technologies avec la touche sensible du peintre. Les oeuvres « Mystic Dance » sont des agrandissements d'une peinture gestuelle qui, ouverte à l'interprétation, suggère entre autres la danse soufie des « derviches tourneurs », dont l'axe du corps pivote sur lui-même dans une quête unissant le charnel et le spirituel, la vie et la mort, la terre et le cosmos. » Najia Mehadji a aussi en tête les odes mystiques du poète soufi Rûmî qui écrivait que « nul ne peut contempler la lune ni devenir la mer ». C'est pourtant ce devenir-mer, écrit Christine Buci-Glucksmann, « ce devenir-danse, avec ces flocons corporels que m'évoquent ces peintures de Najia Mehadji, qui s'épanouissent dans l'immensité florale et le noeud mystique d'une Spring Dance. » Ce livre, paru aux éditions Somogy, fait la preuve que Najia Mehadji, née en 1950, a atteint le sommet de son art. En vérité, une grande dame de l'art contemporain.
www.najia-mehadji.com
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