Le Baiser, peut-être, Belinda Cannone, 10/18, 144 p., 6,10 euro.
Belinda Cannone excelle dans ce genre que certains jureront hybride, mais que, moi, je tiens pour une belle façon d'embrasser le monde : un texte qui se tienne à mi-chemin entre l'essai et la fiction et qui repose sur un thème. Le titre annonce la couleur. D'une certaine manière, ces pages me rappellent un peu Madeleine de Scudéry et sa fameuse carte du tendre, les Fêtes galantes, mais dans un esprit tout a fait moderne. Belinda Cannone a du caractère, de la finesse et une sensibilité aiguisée, qui frappent l'esprit quand on lit ce petit livre qui paraît anodin. Elle nous conduit à méditer sur ce geste d'amour si familier et qui est pourtant souvent un moment important des machinations de l'amour. Avec esprit, humour et beaucoup de science !
Giuseppe Penone, archéologie, Frédéric Paul, Actes Sud, 120 p., 23 euro.
Je ne sais qui Frédéric Paul, mais je dois lui tirer mon chapeau. Oui, chapeau bas pour cet auteur qui écrit très bien, avec clarté, avec sensibilité, avec originalité sur l'un des grands créateurs de l'Arte Povera. Avec discernement et concision, avec style, il nous raconte l'histoire de cette artiste, c'est-à-dire le cheminement intérieur qui l'a conduit à faire ce qu'il a fait. C'est absolument passionnant. Il raconte le rapport singulier que Pennone a établi avec l'arbre qu'il sculpte et qu'il reconstruit selon les termes de son langage plastique. Et, d'année en année, on suit l'évolution de cette pensée, qui a sa logique et aussi ses fondements profonds. Cet ouvrage devrait être donné en exemple à tous ceux qui se mêlent de parler d'art et qui, pour le faire, on choisi d'être abscons ou des « citationnistes » de philosophes et de psychanalystes qui n'ont rien à faire dans cette galère. Avec lui, on se met à aimer cet artiste et on comprend très bien ce qu'il a voulu faire avec une belle rigueur, mais en introduisant sans cesse des chemins de traverses qui enrichissent son discours. A mettre dans toutes les mains si l'on aime vraiment l'art de notre temps.
Remember Joseph Beuys, Lucrezia De Domizio Durini, C.C.I.A. di Pescara, s. p., 30 euro.
Lucrezia De Domizio Durini a écrit près de trente livres sur Joseph Beuys, qui a été son ami et qui a passé ses dernières années sur ses terres dans les Abruzzes. Elle a donné récemment l'essentiel de sa collection à la Kunsthaus de Zurich : mille m2 d'oeuvres d'installations, de documents, de souvenirs de la grande aventure artistique de ce créateur allemand hors norme. Elle a eu l'idée récemment de projeter un grand événement à Pescara, ville natale de Gabriele D'Annunzio, pour commémorer la conférence que Beuys avait donné en 1978 à la Chambre de commerce. Cet événement assez déconcertant n'a pas consisté en quelques allocutions, mais dans un joyeux mélange des genres : le film de la conférence de Beuys (suivi d'un commentaire désopilant de Bonito Oliva !), le précieux témoignage de l'artiste Vitantonio Russo, les concerts de Marco Rapattoni et de Melo Pimenta, des performances, des lectures poétiques d'Aldo Roda et la plantation d'un chêne, comme l'avait fait Beuys à Kassel à l'occasion de la Documenta. Ce livre renferme une grande quantité d'images pour marquer l'événement, mais aussi des réflexions d'auteurs qui ont contribué, un long texte de Russo et bien sûr la belle présentation de l'auteur. Plutôt qu'un hommage académique, elle a voulu faire revivre l'esprit de Beuys à travers les artistes, les musiciens, les écrivains invités. Et elle a eu raison de le faire ainsi.
Chronique de la guerre sur mer, Dino Buzzati, traduit de l'italien et préfacé par Stéphane Laporte, Les Belles lettres, 346 p., 23,90 euro.
Avant la dernière guerre, Dino Buzzatti écrivait pour le Corriere della sera, l'un des plus grands quotidiens italiens. Il s'apprêtait à partir pour l'Ethiopie pour l'Ethiopie quand Mussolini se décide d'attaquer la France sur le point de capituler. Il est mobilisé. Mais c'est encore comme journaliste qu'il est affecté dans la marine. Il rend compte de 1940 à 1942 de la vie sur mer dans la Méditerranée : des convois se rendent tous les jours en Afrique. Il n'assiste qu'à bien de feu de faits héroïque mais raconte avec beaucoup de talent la vie de ces marins qui entreprennent ces traversées dangereuses, car la marine anglaise n'est pas inactive. Son dernier papier, il le fait pour Il corriere d'informazione en décembre 1942 et relate un affrontement avec des éléments ennemis dans le canal de Sicile. Ce recueil est passionnant, car on y vit la guerre sur mer au quotidien avec intensité. Le préfacier insiste sur le fait que l'auteur avait à peine publié son chef-d'oeuvre, le Désert des Tartares. L'attente redevient dans la réalité son thème de prédilection, mais, cette fois, par la force des choses. Il faut lire ces articles. Ils nous donnent une autre mesure de ce conflit écrit avec un art consommé du détail révélateur.
Pancho Quilici, d'un oeil inquiet, Philippe Curval, Aera, 244 p., 40 euro.
Vénézuélien, Pancho Quilici a développé une oeuvre étrange, singulière et même hors norme. Il a fallu tout le talent et la finesse d'esprit de l'écrivain Philippe Curval pour nous faire comprendre la démarche hors norme de cet artiste peintre. En effet, ce dernier s'intéresse à des villes imaginaires, d'abord des villes qui ont trait à des archéologies rêvées, puis à des mégapolis plus modernes, quasiment de science fiction. Ses compositions se caractérisent par une construction sophistiquée, très complexe, où une trame géométrique s'additionne à la vision panoramique de ses cités titanesques. Cette peinture est une manière d'explorer des mondes impossibles et pourtant si proches de ce que nous sommes. Chacune d'entre elle a été élaborée avec le plus grand soin sur la table de travail d'un architecte qui ne se soucie plus du réel. Et pourtant, chacune de ses création, avec son identité propre, ses mille détails confondants, ses « grilles » faites de dessins d'une géométrie fantasmatique, possède une puissance d'attraction inéluctable. Quilici nous remet en mémoire les utopies des années 60 ou 70. Il nous rappelle que le monde où nous vivons doit être l'objet d'une projection dans une autre dimension, qui est celle de notre futur plus ou moins proche. Le bel essai de Philippe Cuyrval nous apprend à suivre le sens de la recherche du peintre, toujours surprenant.
Et maintenant il ne faut plus pleuré, Linn Ullmann, traduit du norvégien par Cécile Romand-Monnier, Actes Sud, 416 p., 23 euro.
D'une part ce roman est écrit d'une manière qui ne laisse pas indifférent : le style est vif, incisif, rapide, mordant, maniant l'ellipse avec jubilation. C'est une écriture moderne, mais pas d'effets. D'autre part, l'histoire est assez difficile à suivre. Il s'agit d'un roman familial, avec ses infernales ramifications (la descendance des uns et des autres !) dont on perd vite le fil. Tout repose sur une sorte de malédiction à cause de la disparition mystérieuse d'une belle jeune fille, Mille, qui était chargée de s'occuper des enfants de Jenny, la mère de Siri, elle-même coupable d'un acte répréhensible : elle a vu son petit frère se noyer et elle n'a pas fait un geste pour le sauver, paralysée par l'émotion et la peur. Alors se déroule l'histoire infernale de la maisonnée qui devient l'histoire de plusieurs familles s'enchevêtrant les unes aux autres, toujours avec dette disparition et cette mort placée comme une épée de Damoclès au-dessus de la tête des personnages. C'est un drame d'inspiration protestante, qui a du mal à prendre corps devant nos yeux. C'est d'autant plus dommage que Linn Ullmann est douée, capable de filer une prose nouvelle et attachante, mais buttant sur son propre sujet comme si la trame qu'elle avait tissée était impossible à compléter de manière cohérente. Cela étant dit, c'est peut-être moi, avec mon peu de goût pour les affaires de famille, qui me trompe car ces entremêlements complexes sont la nature même de cette histoire.
Fricassée de galantin à la mode d'Edo, Santô Kyôden, traduit et présenté par Renée Garde, Les Belles Lettres, 128 p., 17,90 euro.
Santô Kyôden (1761-1816), bien qu'ayant joui d'un grand succès de son vivant, n'est pas considéré avec le même respect qu'Hokusai, Hiroshige ou Utamaro. Sans doute est-ce dû au fait qu'il a aimé exécuter ces petits volumes libertins à trois sous qu'on appelait « couvertures jaunes » (il avait néanmoins choisi de prendre un pseudonyme : Kiato Masanobu). Celui que nous avons entre les mains a été imprimé en 1765. Les mangas comme celui-ci sont libertins et même graveleux et les dessins frisent le grotesque. L'humour y est de règle, malgré une chute qui donne au récit l'apparence d'une fable. Mais ces quatre opuscules réunis ici n'en sont pas moins attachants. L'humour joyeux de cette histoire qui est celle d'un jeune héritier présomptueux qui se croit tout permis parce qu'il est nanti est digne d'une farce. C'est aussi un aspect de l'art de la période d'Edo qui a été très populaire et qui mérite qu'on s'y attache pour comprendre la riche culture qui s'est développée dans le futur Tokyo. Enfin, cela nous permet de mieux connaître (ou de découvrir) Kyôden, qui est un grand artiste, et pas seulement dans ce genre particulier.
Joseph Conrad, Michel Renouard, « Folio biographie », 352 p., 8,90 euro.
solutions : ou faire des recherches ou se contenter de ce que autrui a pu découvrir. A mon avis, Conrad mériterait mieux ! Pas une biographie où s'inventent les choses quand on les ignore !
Une autre vie, Per Olov Enquist, traduit du suédois par Lena Grumbach & Catherine Marcus, Actes Sud, 480 p., 23 euro.
Cette autobiographie est une splendeur. Elle devrait être donné en modèle pour son originalité et sa puissance. Voilà un écrivain qui s'exprime loin des entiers battus de ce genre qui est devenu ennuyeux. L'enfance est toujours la clef de voûte. Ce qu'il nous raconte de sa mère, si prévenante et si terrible à la fois, de ce microcosme campagnard avec ses sectes innombrables et toutes d'une sévérité angoissante, de l'intensité de ce monde où tout est si pesant, constitue un univers qui est d'une puissance qui vous prend et ne vous lâche plus. Peu d'auteurs sont capables de narrer leurs jeunes années avec l'art d'Enqsuist, qui ne fait aucune concession. Et son entrée en écriture n'est pas l'objet d'une transmutation alchimique ou d'un don du ciel. Il ne sublime rien. En se dévoilant (avec parcimonie) il évoque toute une époque, en particulier l'univers de la presse, les idées qui circulaient autrefois dans son pays. Il parle de son premier livre avec un détachement admirable, bien qu'on comprenne l'importance qu'il a pu avoir et qu'il a encore pour lui. Le lien entre le journalisme d'investigation et la littérature est très étroit chez lui : il suffit de lire l'Extradition des Baltes, Hess ou la Cathédrale olympique. C'est un grand monsieur de la littérature car à partir de l'établissement des faits dans une affaire grave qui a secoué la conscience des Suédois, il a su cultiver une écriture à la fois précise et d'une richesse inouïe. Dans le cas présent, je n'hésiterai pas à avancer qu'il s'agit d'un chef-d'oeuvre. Ce livre figurera parmi les grandes autobiographies. Et tout y est singulier, unique : sa manière de camper les personnages, que ce soient ses parents ou des voisins, des mais ou des relations de travail, de multiplier les ex cursus, les divagations, sans qu'on ne perde jamais le fil de son histoire personnelle. Merveille romanesque et merveille introspective. Que de retenue et que de vérité ! Laissez de côté ces romans insipides de la rentrée et plongez-vous dans le flot de cette existence si pleine et si bien reconstituée par la magie de l'art scriptural.
Thymus, Julien Blaine, Le Castor Astral, 216 p., 18 euro.
iDHALi, Julien Blaine, Edizioni Campanotto, Udine, s.p.
On est en droit de s'interroger sur la démarche de Julien Blaine. Est-il poète ? Est-il artiste ? Les deux à la fois ? Ou autre chose ? A force de le voir prendre les choses par le côté de la dérision, on a fini par le prendre pour un habile tacticien de la posture post-dadaïste. Ce qui n'est pas faux. Mais quand on lit Thymus, on se rend compte que cette perception de ce créateur est bien incomplète. Cette oeuvre est grave en dépit de l'humour dont il ne peut jamais se passer. Elle dévoile ses doutes, des arrières pensées, son opinion critique sur tout ce qu'il a accompli. Le titre est déjà tout un programme : le thymus étant un organe fondamental pour la croissance des lymphocytes et était considéré, chez les Grecs et les Latins de l'Antiquité, comme le siège de l'âme. C'est aussi le thym, dont on se sert pour les préparations culinaires. Ses origines provençales peuvent donner un fondement à cette interprétation. Alors, dans ces pages pleines de points d'interrogation, Blaine se livre (et sans doute se délivre). Bien sûr, ses typographies modernistes et ses mauvais jeux de mots, ses grossièretés toutes rabelaisiennes nous rappellent ce qu'il est, mais surtout insiste sur le fait qu'il ne veut pas se prendre tout à fait au sérieux et ne pas céder à la mélancolie. En sorte que le livre est un curieux journal, une sorte d'autobiographie par fragmentation et détournement. Tout compte fait, voici une petite somme tronquée d'un auteur en quête de lui-même.
Dans la belle édition d'iHALi, Julien Blaine revient sur un thème qui lui est cher : la photographie, qui ne représente pas vraiment la chose dont elle s'empare. Il donne quelques exemples, à la Réunion, à Venise, à Ospitaletto, etc., il nous montre que tel est pris celui qui croyait prendre quelque chose de net et de précis avec son appareil photographique. Son texte est concis et clair sur la question. C'est un leurre et de ce leurre naît une nouvelle conception du ready-made, cette fois poussé jusqu'à sa dernière limite. Et les documents photographiques qu'il nous fournit pour prouver sa démonstration sont là pour en témoigner. Au-delà de cette démonstration, il nous offre aussi le plaisir d'une radicalisation ultime du geste dadaïste, à la fois probant et absurde. C'est un superbe portfolio, qui nous entraine derrière les confins de ce qu'on qualifie d'art. Voià où l'auteur aime se situer : en perte d'équilibre, sur la ligne blanche entre l'art dit moderne et ce qui est son possible dépassement.
Je viens de Russie, Zakhar Prilepine, Editions de la Différence, 288 p., 22 euro.
Ces « chroniques » sont remarquables. Chaque chapitre a sa spécificité : l'un est une fiction, l'autre un souvenir, le suivant, un détail révélateur et celui qui vient ensuite, des considérations plus générales. Qui veut comprendre ce qu'est devenu ce pays depuis l'effondrement de l'Union soviétique doit être considéré comme un viatique. Bien sûr, la première chose qui apparaît dans ces pages est la terre - cette terre russe auxquels les hommes et les femmes qui y vivent sont étroitement attachés, même si elle est rude et ingrate, même s'il est faite, comme le dit Prilepine, de boue et de sang. Des souvenirs viennent révéler cette spécificité, non de l'âme russe, mais de l'être russe, du plus simple ouvrier ou du soldat le plus modeste. Et ce monde peu à peu devient concret, vivant, intense, passionnant grâce au talent de cet écrivain qui a su raconter son pays, évoquer son histoire, dessiner son présent, mettre en évidence ses défauts, ses tares et ses horreurs tout en saluant ses beauté, sans emphase, sans non plus vouloir faire une démonstration ou une apologie forcée. Non, ici tout est une révélation et qui se lit comme on pourrait lire un roman fait de mille fragments d'histoires. C'est une oeuvre d'initiation et un peu plus encore.
Meursault, contre-enquête, Kamel Daoud, Actes Sud, 160 p., 19 euro.
L'histoire proprement dite tient en peut de mot : le narrateur vit avec une blessure qui ne se s'est jamais refermée : l'assassinat de son frère, Moussa, à Alger. C'est un Français qui a tiré sur lui. Il en reste inconsolable avec sa haine pour le meurtrier et sa douleur, qu'il partage avec sa vieille mère. En pensant sans cesse à ce jour fatidique, il fait ressurgir l'Algérie coloniale. Son idée n'est pas de parler et de la guerre terrible qui a opposé les musulmans et les troupes françaises ou les humiliations subies. Il préfère, par son récit qui n'a de laisse de se régénérer, de rendre tangible ce que véhicule un homme qui a traversé cette période et qui en rapporté des sensations, des émotions, des rancoeurs et des colères sans remède. Kamel Daoud est un conteur remarquable. Il ne s'exprime pas de manière linéaire, comme dans la tradition orale de ces hommes qui aimaient tissaient des histoires toujours enrichies de détails savoureux et de parenthèses délicieuses et souvent drôles. De plus, cet homme désespéré affabule, se prend pour le tueur, se croît lui-même un tueur. Il divague et, en divaguant, il nous entraine à Babel Oued ou sur la plage d'Alger, dans la maison familial, dans les rues. Pas une once d'exotisme, pas de paysages autres que ceux furtivement évoqués : c'est un conte plein de tristesse et cependant d'une vitalité et d'une intensité poignantes dans l'écriture. On lit ce livre d'une traite car, s'il n'a pas véritablement d'intrigue, il déroule des fils pour comprendre une génération d'Algériens. Kamel Daoud est un grand conteur dans un esprit moderne.
Goethe, Joël Schmidt, «Folio biographies », 368 p., 9,40 euro.
Voilà une biographie honnête, faite avec soin, sérieux, intelligence et rédigée de manière plaisante. Sur la reconstitution de ce qu'a été le parcours de Goethe, il n'y a rien à dire. C'est parfait. Le seul défaut de cette étude est qu'elle ne met pas en relief les traits saillants de l'esprit de l'écrivain allemand et qu'on ne comprend pas quelle a été la portée de son oeuvre. Tout est exposé avec exactitude et qui ne connaît pas son histoire y trouvera son compte. Mais un biographe doit aussi mettre l'accent sur ce qui rend son oeuvre aussi importante - en son temps et aujourd'hui. Les faits ne disent pas tout. Il faut aussi les enluminer.
La Djouille, Jean Pérol, La Différence, 288 p., 20 euro.
C'est là un roman assez curieux, car il ne cesse d'aller et de venir dans le temps et dans l'espace pour évoquer les voyages lointains du narrateur (surtout en Afghanistan) et pour vous faire connaître les deux femmes qui ont compté dans sa vie, Justine et Clara. Ses souvenirs, il les ressasse dans sa retraite cévenole. Ils reviennent et s'emparent de lui et il les couche sur le papier pour relater une période de son histoire qui croise celle du monde qui ne cesse de se métamorphoser. Rien de nostalgique ici, mais plutôt de la colère, de la rage, des regrets et de l'amour parfois. De tout ce passé, il tire une sorte de grand périple désordonné (en apparence) car la mémoire veut qu'il en soit ainsi. C'est sans un genre d'autobiographie que l'auteur a voulu libre, ouverte, sans contrainte. La vérité est ailleurs. C'est à la fois prenant et déroutant. Il arrive à Jean Pérol de s'égarer, de digresser de manière excessive, de trop insister sur une anecdote. Mais il a assez de sensibilité pour faire que tout ce flot d'images, d'êtres et de paroles finit par trouver sa cohérence et révéler un théâtre vibrant de notre pauvre monde entre Paris et Kaboul.
A l'origine notre père obscur, Kaoutar Harchi, Actes Sud, 278 p., 17,80 euro.
Cette fiction n'est pas à proprement parler un roman. Ce n'est pas non plus un essai. Disons qu'il s'agit d'une méditation sur la condition de la femme. L'héroïne nous donne l'impression d'être enfermée dans un univers exclusivement féminin, comme incarcérée, et sa relation principale est celle qui la lie à sa mère, qui la guide dans son apprentissage de l'existence, une existence secondaire. C'est écrit avec beaucoup de grâce et de force. Sa limite est celle-ci : le récit se résume à une métaphore qui se déroule d'un bout à l'autre de l'ouvrage et qui sous-tend une sorte de démonstration. C'est sans doute la limite de la pensée de Kaoutar Harchi. Ce jeune auteur n'est pas dépourvu de talent, mais manque d'invention et de surprise dans sa littérature. C'est agencé de manière trop sérieuse et trop partiale. Bien sûr, on peut lire ce livre avec intérêt et s'intéresser à la jeune fille qui grandit dans ce vase clos étouffant, qui la brise et l'humilie. Mais on reste définitivement sur sa faim.
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