Marie-Amélie Zu Salm-Salm, née en 1973, a fait ses études d'histoire de l'art à Heidelberg et Paris (ParisIV-Sorbonne). Elle a soutenu une thèse de doctorat en 2002 sur l'importance du milieu artistique parisien, entre 1945 et 1955, pour les peintres abstraits allemands, autrichiens et luxembourgeois. Parmi ces derniers, elle privilégie Théo Kerg (1909-1993) qu'elle vient d'entreprendre de tirer de l'oubli en tant que commissaire indépendante de l'exposition Théo Kerg, De l'école de Paris au tactilisme au Musée national d'Histoire et d'Art et au Cercle Cité de Luxembourg. Connaissez-vous Théo Kerg ? Sans doute pas, car le Musée National d'Art Moderne, qui possède de lui une oeuvre remarquable, ne la montre guère (Givré, technique mixte sur toile, 1957). Théo Kerg est si bien occulté que le catalogue Art moderne du MNAM l'ignore complètement. Or ce peintre qui reçut pendant plusieurs mois, avant 1940, l'enseignement de Paul Klee, choisit de s'installer définitivement à Paris dès 1946 et devint l'un des membres les plus actifs de l'Ecole de Paris, comme en témoignent ses amitiés (avec Paul Eluard en particulier, qui lui demanda dès 1947 d'illustrer son livre Dignes de vivre par vingt bois gravés) et ses proximités (avec par exemple Jacques Villon en l'honneur de qui il peignit un incandescent Hommage à Jacques Villon en 1954). Qui était donc le peintre Théo Kerg ?
Issu d'une culture germanique, Théo Kerg s'inséra immédiatement et sans difficulté dans la tradition et l'esprit français bien qu'ayant appartenu de 1934 à 1936 au groupe Abstraction-Création avec notamment Mondrian, Kandinsky, Baumeister et Kupka. En avril 1948, la galerie Bellechasse, qui fut sa galerie de référence, présenta ses dix lithographies inspirées du poème de Paul Valéry, Le Cimetière marin. L'année précédente, elle avait déjà organisé une exposition personnelle de Kerg, avec entre autres des lithographies à partir de Notre-Dame de Paris. La critique parisienne lui avait réservé un accueil très favorable. Ainsi Jean Bouret dans Opéra : « Théo Kerg expose ses lithographies impeccables. L'ombre de Notre-Dame de Paris se détache sur le fleuve qui la cerne ; le quai aux Fleurs s'illumine de soleil, une nouvelle fois le paysage parisien se restitue à nous avec la tendresse captieuse et c'est toujours le même envoûtement. Théo Kerg (et là je cite son préfacier, notre ami Diehl) donne à son oeuvre la meilleure chance, celle de vivre pleinement avec son temps tout en paraissant s'en détacher... » En effet, Kerg se rapprocha progressivement de l'abstraction telle que la pratiquait le paysagisme abstrait de l'Ecole de Paris, et le catalogue de Luxembourg montre clairement ses affinités avec Bazaine et de Staël. Si bien que le grand spécialiste de l'art français, André Chastel, le distinguera dans un article du Monde en 1954 : « Une peinture comme la sienne peut être assimilée à une musique de chambre. Un tableau, tel qu'il le conçoit n'est pas une projection de l'univers physique. C'est un pur objet de poésie. »
De 1955 à 1975, Théo Kerg recherche « l'animation de la matière », il utilise les matériaux les plus divers pour articuler des surfaces en relief et créer des oeuvres « tangibles » en jouant avec la lumière et l'espace. Il nomme tactilisme le fruit de ses expériences, qu'il expose en novembre 1959 à la galerie Bellechasse sous le titre Tactilisme lunaire et terrestre. Il rejoint de la sorte Jean Dubuffet, qui lui écrit pour l'assurer amicalement de son intérêt. Kerg se trouve ainsi aux origines d'un nouveau mouvement de l'art occidental. Mais l'Histoire préfèrera le nommer matiérisme et ne retiendra pas « tactilisme ». Par la suite, Théo Kerg s'illustrera dans l'art sacré, réalisant notamment en 1979 le vitrail de la chapelle mortuaire de Gonderange (Luxembourg), une dalle de six mètres par deux mètres 50, l'architecte étant son fils Carlo, né en 1943, aujourd'hui défenseur de l'oeuvre de son père qui, dans le même registre, réalisa en 1978 la façade de la morgue du cimetière de Mannheim, composée de 400 m2 d'éléments en béton, marbre de Carrare et dalles de verre. Le Luxembourg vient de célébrer un enfant du pays, et c'est justice, mais il ne faudrait peut-être pas oublier que Théo Kerg, qui vécut si longtemps rue Saint Honoré avant de s'éteindre en Bourgogne, appartient essentiellement pour l'Histoire à l'Ecole de Paris. Marie-Amélie Zu Salm-Salm prépare, en cette fin d'année 2014, une exposition d'art français de l'après guerre à la Kunsthalle de Mannheim. À quand un événement de ce genre en France, avec Théo Kerg évidemment ?
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