Frédéric Brandon est un récidiviste. Déjà, en 1988, galerie Pascal Gabert à Paris, il avait intitulé une exposition « Vive la peinture de chevalet ». Or aujourd'hui et jusqu'au 28 décembre, au centre d'art contemporain Le Radar à Bayeux qui accroche un choix d'oeuvres appartenant à plusieurs de ses périodes, il reprend ce titre : manière de dire qu'il est resté fidèle à lui-même depuis un quart de siècle ? Sans aucun doute, mais il y a peut-être autre chose. Ce cri d'amour à la peinture en général et à la peinture de chevalet en particulier retentit comme un manifeste. Brandon n'a rien contre l'art contemporain : il en est lui-même partie prenante. Mais il regrette que des manifestations aussi prestigieuses que, par exemple, la Biennale de Lyon, ne présentent aucune peinture et exclusivement des installations. Or le bon vieux tableau est le moyen d'expression spécifique de la civilisation occidentale et il serait dommage de le perdre. Cette exposition s'inscrit donc dans un combat dont Picasso a donné jadis le sens avec force : « Non la peinture n'est pas faite pour décorer les appartements. C'est un instrument de guerre offensive et défensive contre l'ennemi. »
On remarquera que certaines toiles de Brandon appartiennent à la série « ça ira bien avec les double-rideaux ». L'ennemi, ce seraient ceux qui, au fond, n'aiment pas la peinture et la cantonnent à un rôle purement décoratif. Mais Frédéric Brandon le dit sans la moindre agressivité : au contraire, il s'inscrit dans une double tradition qui fait tout le charme de son travail : la peinture, avec lui, est à la fois humour et plaisir sensuel.
La peinture est humour : Frédéric Brandon marche volontiers sur les traces du Titien, vous savez, le grand peintre vénitien à qui le duc d'Urbino avait commandé deux portraits, celui de la duchesse son épouse, et celui de sa maîtresse sous l'apparence d'une vénus. Avez-vous remarqué que la duchesse a près d'elle un petit chien, et que le charmant animal, c'est bien lui, se retrouve au bout du lit de la maîtresse dite Vénus d'Urbino ? Humour discret du maître du 16e siècle que ne désavouerait pas un Brandon répondant à la question « qu'est-ce que la peinture ? » par des représentations pleines de tendresse de quelques vaches normandes...
La peinture est plaisir sensuel : Frédéric Brandon doit se souvenir, quand il peint, de la touche souveraine d'Edouard Manet, vous savez, le grand peintre français du XIXe siècle qui, pour représenter la femme qu'il aime (secrètement) sur son balcon, place une touche géniale de rose dans sa chevelure brune. Nous voyons une oreille, et nous ne voyons pas qu'en tant qu'oreille seulement, elle serait énorme et devrait défigurer Berthe Morisot. Pourquoi ? Parce qu'il n'y a ici qu'une touche de peinture, et non une représentation d'oreille, parfaitement à sa place dans l'économie générale du tableau. Regardons maintenant particulièrement les oeuvres de la série « Vive la peinture de chevalet : ne forment-elles pas un festival de touches généreuses, jubilatoires, en un mot sensuelles, par lesquelles Frédéric Brandon ne se fait pas seulement plaisir : il réussit me semble-t-il à nous le faire partager. Ne le boudons surtout pas, ce plaisir, et accompagnons ainsi Brandon dans son combat. Un combat pacifique pour que vive la peinture. En tout cas un combat nécessaire par les temps qui courent.
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