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[verso-hebdo]
18-09-2014
La chronique
de Pierre Corcos
Trois temps
Si le dernier film d'Olivier Assayas, Sils-Maria, a suscité de nombreux commentaires, largement positifs, beaucoup ont insisté sur le jeu de ses trois actrices, ou sa composition en abyme, ou ses dimensions sociologiques (le milieu du théâtre et du cinéma) et psychologiques (le drame du vieillissement), tous éléments exacts. Il y eut moins de commentaires pour s'aviser de la référence à Nietzsche dans le nom de Sils-Maria (en ce lieu le philosophe eut l'intuition fulgurante de l'Éternel Retour) et de la riche portée philosophique, littéraire du film. Enfin, s'est-il trouvé une seule critique pour apprécier, dans cette oeuvre, une brillante composition où trois temps se croisent, s'opposent et se superposent ?

Avant d'en venir à ce substrat temporel réflexif, quelques lignes sur le scénario...
A 18 ans, Maria Anders (Juliette Binoche) a, dans la pièce Maloja Snake, connu un succès qui l'a élevée au niveau des grandes comédiennes, en incarnant une jeune fille, Sigrid, ambitieuse et ensorcelante, qui fascine et conduit au suicide une femme mûre, Helena. Et voilà qu'on lui propose de rejouer la pièce, vingt ans après, mais cette fois dans le rôle d'Helena, tandis qu'une jeune starlette très « peoplisée », Jo-Ann (Chloe Grace Moretz) reprendra le rôle qu'elle avait joué. Au milieu de paysages somptueux de montagne suisses, dans un chalet de Sils-Maria, Maria Anders répète donc la pièce avec sa jeune assistante et coach dévouée, Valentine (Kristen Stewart), avec qui elle a noué des relations troubles... Vertiges de la fuite temporelle, des situations qui font retour et de celles à jamais perdues, drame existentiel typique d'une grande actrice parvenue au sommet de sa carrière, et qui entrevoit déjà la descente, d'autres comédiennes jeunes et ambitieuses poussant derrière. Un drame intelligemment monté avec, en prime, cette stimulante superposition de trois temps.

Le premier temps parcouru par le film, celui précipité de l'immédiat, semble produit par un certain mode de vie, et par les nouvelles technologies... L'impérieux portable, générant un continuel présent, la tablette numérique, médiathèque concentrée, Skype et ses conversations instantanées, les promptes recherches sur Google Images, le buzz informatique et sa trajectoire de comète folle sur le Web scandent le quotidien haché, urgent, tendu et trépidant du showbiz. Dès les premières images, Valentine jongle d'un portable à l'autre. Ce temps hâtif, qui jamais ne doit se perdre et toujours maximiser les profits, cette tyrannie de l'urgence, capitalistique, préparant les téléportations futures de la science-fiction (Jo-Ann joue dans des séries SF), Assayas le traduit de façon insistante par tous ces jouets électroniques omniprésents, devenus prothèses de l'archaïque corps humain, pour le « booster » avant sa logique mutation « transhumaniste »... Sur ce rythme pressant, cette constante accélération, le cinéaste pose une deuxième temporalité, celle-là cyclique, évoquant l'Éternel Retour, la répétition. Temporalité qui voit Maria Enders, des années plus tard, être conduite à jouer le rôle de sa protagoniste, tandis qu'une jeune starlette, Jo-Ann, endossera le rôle qui fut le sien... Le printemps est devenu automne, l'hiver de la vieillesse se prépare (Juliette Binoche fait bien sentir les fatigues et lassitudes de son personnage), et déjà un autre printemps, effronté, se prépare à occuper le devant de la scène ! On entendrait quelques vers du fameux poème de Pierre Corneille, A la Marquise, et Maria les prononcerait à l'adresse de Jo-Ann : « Le même cours des planètes/Règle nos jours et nos nuits/On m'a vu ce que vous êtes/Vous serez ce que je suis. ». Un jour la fougueuse, insolente Jo-Ann deviendra une femme mûre, et alors une jeunette impétueuse se campera devant elle, etc., etc. A ce temps cyclique l'on peut aussi raccorder la dialectique du maître et de l'esclave, qui fait du dominé le dominant et l'inverse : comment ne pas voir une référence à l'oeuvre de Fassbinder, Les Larmes amères de Petra von Kant, dans les liens entre Maria, comédienne « sûre d'elle », et Valentine, son assistante « soumise » ?... Le temps cyclique retournera la situation.
Mais, sous ces deux temporalités, l'une événementielle, hâtive, et l'autre cyclique, Olivier Assayas avait disposé le temps gigantesque - sa mesure est le million d'années -, le temps vertigineux, déroutant de la géologie, qui rend dérisoires nos temporalités humaines... En effet, voici le plus élevé, le plus vaste des massifs montagneux européens, les Alpes, où le cinéaste ouvre de lents et majestueux panoramiques, dépliant nos regards le long du socle massif de la haute Engadine, qui éblouissait Nietzsche, de la Maloja aux gorges de Zernez... Et voici cet impressionnant phénomène climatique qui forme un immense serpent nuageux rampant sur la vallée, l'étonnant Maloja Snake, titre de la pièce. Ces paysages sublimes, qu'aurait peints Caspar David Friedrich, servent de décor écrasant au film. Les héroïnes le contemplent, s'y promènent, s'y perdent même... Contrepoint à la ritournelle narquoise du temps cyclique, et à la gigue frénétique du « showbiz  timing », ce temps-là, ce quasi-éternel, vers la fin du film se voit suggéré comme un sage remède à notre hantise du vieillissement et à notre chronophobie.

Ces trois temps jouent dans des couches géologiques plus profondes que les surfaces accidentées où se débattent les trois personnages féminins. Avec Sils-Maria Olivier Assayas, a invité un quatrième comédien, plus discret, plus grave et fondamental : le dieu Chronos.
Pierre Corcos
18-09-2014
 

Verso n°136

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