Dimanche 11 mai, le Salon de Mai a fermé ses portes. C'était le 64ème et dernier. « Il ne meurt pas. Il se retire simplement d'un champ artistique qui ne laisse guère d'espace » indiquait laconiquement le comité, c'est à dire essentiellement ses secrétaires, Marc et Sylvie Giai-Miniet qui portaient ce salon à bout de bras, avec abnégation, depuis des années. Dans le bel espace Commines du 3ème arrondissement de Paris, de vastes bannières tombées du ciel rendaient hommage au fondateur, le critique et historien d'art Gaston Diehl, et au couple Yvon Taillandier-Jacqueline Selz qui lui avait succédé au secrétariat général. C'était justice : grâce à eux, depuis mai 1945, un rendez-vous annuel permettait à des artistes de qualité d'indiquer au public où ils en étaient dans leurs démarches créatrices respectives. Très jeune, je ne manquais pas d'aller voir avec curiosité les envois de Picasso et de son ami Edouard Pignon qui rendaient compte de leurs nouvelles séries en cours d'élaboration. Picasso ayant pris du champ, Pignon était resté longtemps fidèle à ce salon qui ne connaissait pas le sectarisme et réunissait des talents fort divers. En témoigne une émouvante photographie publiée dans la plaquette composée par les Giai-Miniet, où l'on voit, réunis pour l'édition 1965, Etienne-Martin, César, Alechinsky, Messagier, Pignon, Marchand, Labisse, Taillandier, Singier, Rebeyrolle et Stahly, entre autres, qui entourent Gaston Diehl.
Pour cette dernière édition, Marc Giai-Miniet a voulu privilégier les artistes qui furent membres du Comité et les exposants « fidèles » du Salon de Mai. D'où la présence nostalgique d'oeuvres de disparus ( Hugh Weiss, Michel Tyszblat, Jean Rustin, Yvon Taillandier, Despierre, Kijno, Pignon, Singier...) mais aussi, parmi les bien vivants, des peintres de premier ordre comme Vladimir Velickovic, Gérard Guyomard ou France Mitrofanoff. Cette dernière, en particulier, a scrupuleusement joué le jeu souhaité par Diehl en exposant un tableau tout frais qui nous informe sur son évolution actuelle. Elle donne en effet une forte inflexion au thème des Forêts, qui lui-même avait succédé aux Chantiers et aux Villes. J'avais remarqué, au début des années 2000, que ses robustes, ses massives forêts apparaissaient comme la réinvention du principe des stylisations romanes figurées par les draperies du Christ de Vézelay. Dans un cas comme dans l'autre, une immobilité géométrisée est principe de mouvement. Le mouvement n'était en rien une copie, il était réinventé par des moyens spécifiquement plastiques. Or voici que Mitrofanoff intitule discrètement Balade la splendide toile présentée au Salon de Mai qui renouvelle profondément sa démarche. Dans une clairière, une somptueuse végétation s'épanouit. Les verts tendres et clairs alternent avec les bleus sombres dans une explosion chromatique jubilatoire tandis qu'au-dessus, la canopée d'alentour est suggérée de manière abstraite. Une diagonale sombre désigne le nouveau chemin par lequel l'artiste entend à nouveau recréer plastiquement le sentiment du mouvement. Du grand art.
Bien sûr, tous les exposants n'ont pas joué le même jeu. Un peu trop nombreux sont ceux qui se sont contentés d'envoyer une pièce ancienne secondaire, mais tout de même, ce n'était pas une raison pour se saborder ! La vérité, Marc Giai-Miniet me la donne dans une phrase lapidaire qu'il faut méditer : « Que le Salon de Mai s'arrête n'est pas une catastrophe, nous le savons tous. Mais par contre, ce qui est assez alarmant, c'est la transformation, en quelques années (voire en deux ou trois décennies) du regard de nos contemporains sur l'art ». Le Salon de Mai n'a jamais été une voie de garage pour les recalés du marché, ne voyons donc aucune rancoeur dans ce témoignage d'un peintre reconnu, inventeur avec en particulier ses « boîtes », d'un monde poétique profondément original, mais entendons un constat lucide. Les salons, moyen habituel pour les artistes de montrer leur travail depuis le XVIIe siècle, meurent effectivement d'une transformation du regard du public. Ce dernier n'est certes pas homogène, il comprend aussi bien des adeptes de ce qui tient lieu d'avant-garde que des admirateurs exclusifs d'une pseudo tradition. Les uns et les autres ont désormais besoin de spectaculaire à consommer rapidement. La scénographie tapageuse prime, la délectation contemplative est exclue. Mais rien n'est jamais définitif en matière d'art, et le Salon de Mai est prêt à renaître dès que le vent tournera. C'est du moins ce que je lui souhaite de tout coeur.
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