Que le sigle MIAM du Musée international des arts modestes, à Sète, ait parfaitement convenu à son fondateur, Hervé Di Rosa, cela va sans dire : Miam-miam ! Cette exclamation signifiant l'appétit, enfantine et goulue, évoque la boulimie collectionneuse du peintre, né à Sète en 1959 et protagoniste du mouvement de la Figuration libre. Jouets d'antan, figurines multicolores, bandes dessinées, disques vinyles de rock, objets outrageusement kitsch... Il accumule et collectionne, ce petit-fils d'immigrés ayant grandi dans un milieu très modeste, comme les arts qu'il a baptisés ainsi, sans doute en souvenir de cette culture populaire qui, enfant, l'a nourri. Celles et ceux qui ont visité le musée créé en 2000 à Sète y ont découvert des vitrines bariolées et pléthoriques, composées en fait comme des oeuvres d'art. Excellente introduction à des peintures criardes encombrées comme des vitrines ! En tous cas, ils verront l'exposition Hervé Di Rosa le passe-mondes (jusqu'au 26 août au Centre Pompidou) avec un oeil déjà averti, parce qu'on ne peut pas dissocier chez Di Rosa le créateur du collectionneur.
L'être collectionneur est vorace (ou parfois l'inverse), il a envie de goûter à toutes les cuisines du monde... Comme le rappelle factuellement Michel Gauthier, conservateur au Centre Pompidou et commissaire de l'exposition, « À partir de 1992, l'artiste soumet son répertoire iconographique à des savoirs et techniques inconnus de lui au gré de séjours plus ou moins prolongés dans différentes villes du monde ». Comme si, en son bouillonnement insatiable, cet extraordinaire creuset alchimique de cultures populaires avait faim d'autres supports, objets, techniques, images, traditions, savoir-faire de la planète entière... C'est le fabuleux projet « Autour du monde » dont le Centre Pompidou nous montre quelques étapes. Voici donc un « melting pot » anthropologique passionné qui étonnera les visiteurs de cette exposition. Alors c'est les icônes en Bulgarie, puis les enseignes au Ghana, les cotons teints et cousus au Bénin, les peaux de chèvre ou de zébu en Éthiopie, les laques au Vietnam, les vanneries en câbles téléphoniques en Afrique du Sud, les ex-voto et les arbres de vie en terre cuite au Mexique, la sculpture sur bois au Cameroun, la résine polyester et les pièces textiles brodées de sequins et de perles aux États-Unis, les statuettes religieuses en Espagne, les azulejos au Portugal... Et voilà chaque fois, pour le créateur Di Rosa, une initiation ou une nouvelle pratique ou une expérimentation ou un détournement ou une collaboration. Qu'on aime ou qu'on n'aime pas son oeuvre, comment ne pas être conquis par cet art populaire sans frontières ? C'est-à-dire, pour idéologiser le propos, un art populaire... anti-populiste. Déjà que sa démarche d'origine refusait les hiérarchies artistiques en leur verticalité, la voici qui de surcroît remet en question tout quadrillage de l'horizontalité culturelle ! Hervé Di Rosa : mauvaise presse dans certains milieux... si tant est qu'ils le connaissent.
Hors ligne politique, les enfants et l'Enfant en nous adoreront - puisque l'artiste ne peut être dissocié du collectionneur - cette vitrine délirante de figurines (celles qu'on trouvait dans les paquets de lessive ou les boîtes de chocolat en poudre, aujourd'hui dans certains oeufs en chocolat) dans le couloir du niveau 4, où se tient cette petite exposition. Ils apprécieront également les croisements féconds entre la propre mythologie de Di Rosa, sa Diromythologie, créée dans les années 80 et hérissée d'une bonne centaine de personnages surexpressifs, et la mythologie d'autres cultures traditionnelles empreintes, mais selon nos critères, d'une certaine « naïveté ». Une oeuvre en 3D comme Écoute ton corps il est vivant (2002) reste à cet égard emblématique. Cette composition rutilante de joyeuses tripes, de la cervelle au côlon - chaque organe étant un personnage comique - s'avère en même temps une sorte d'arbre de vie en terre cuite à la façon mexicaine... C'est fou, drôle et enfantin. Lors d'une exposition sur la Figuration libre il y a juste quarante ans au Musée d'Art moderne de Paris, Otto Hahn, alors critique d'art au magazine « L'Express », avait parlé (mais sans y mettre de nuances péjoratives) concernant les joyeux drilles de ce mouvement artistique, notamment Di Rosa, de « puérilisme »... Or le monde enfantin a inspiré de grands artistes comme Paul Klee ou Joan Miró. La caractéristique propre à Di Rosa serait alors d'avoir gardé dans sa peinture une exaltation à l'égard de ce qui, dans l'art de masse, émerveille les enfants. Cet art de masse, ces « arts modestes », cet art kitsch et bigarré que l'on s'empresse, une fois adulte, d'oublier ou mépriser, avec enthousiasme Di Rosa en tire une énergie vitale qui l'éloigne sans doute de ses noirceurs secrètes, avouées de temps en temps... Parce qu'il y a, notons-le, très peu de gris et/ou noirs dépressifs ou simplement de vide dans ses oeuvres, d'une extrême compression multicolore ! Même si l'accumulation des couleurs vives génère subrepticement un paradoxal effet de grisaille, au premier degré et immédiatement les bigarrures, l'enfance énergumène, le grotesque et l'accumulation, l'imaginaire déjanté, tous ces rires éclatants, toutes ces pupilles dilatées ont de percutants effets toniques, roboratifs.
Au fond Di Rosa parle si bien de notre civilisation d'abondance, de son euphorie affichée, urgente, tapageuse refoulant tristesse et finitude !
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