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[verso-hebdo]
13-06-2014
La chronique
de Gérard-Georges Lemaire
Chronique d'un bibliomane mélancolique

Ellsworth Kelly, formes et couleurs, 1949-2015, Editions Hazan / Fondation Louis Vuitton, 306 p., 49, 90 euro.

Ellsworth Kelly (1923-2015) aurait eu cent ans l'année passée. Ces centenaires ne me paraissent que des justifications mal placées. Il suffirait de dire qu'il a été l'un des grands artistes américains du siècle passé. De plus, il est venu en France (il a vécu à Paris à 1954) et y a exposé (sa première exposition a eu lieu en France en 1951). Il est ensuite rentré à New York.
Ellsworth Kelly est né en 1923 à Newburg (Etat de New York). Il a suivi des études artistiques avant d'être enrôlé. Il a découvert Paris en 1944. A son retour, il a étudié deux ans à Boston à l'Institut Pratt, et il a bénéficié de la GI Bill en 1948 qui lui a permis de poursuivre ses études et il a même étudié à l'Ecole des Beaux-arts de Paris. Pendant son séjour en France, il est particulièrement intéressé de près par la peinture d'Henri Matisse et les sculptures de Constantin Brancusi et de Jean Arp. En 1950, il a renoncé à la figuration et s'est mis à composer des oeuvres de caractère géométrique, avec des traits alignés selon un ordre différent. Il avait déjà commencé à styliser les objets qu'il avait choisi de représenter. L'année 1949 a été celle de ce grand tournant.
Window est sans doute l'une des compositions les plus représentatives de cette période cruciale. Quand il retourne à New York, il est bien loin de l'école abstraite de New York dite « expressionnisme abstrait ». De plus, toutes ces oeuvres ne sont encore que des exercices pour comprendre où il pourrait aller. Cette période transitoire montre que très rapidement il abandonne l'idée de sujet et se tourne vers une abstraction pure, comme le démontre la seconde version de Window en 1950. Deux ans plus tard, il a complètement changé d'optique et il a aligné des rectangles monochromes les uns à côté des autres dans Painting for a White Wall. A partir de là, il travaille soit sur des monochromes, soit sur des arrangement de rectangles monochromes. C'est en 1956 qu'il a introduit la courbe et, ce faisant, a donné plus de liberté à ses ouvrages.
Mais c'était sans renoncer à ses formes géométriques et à ses monochromes. A mon sens, c'es à ce moment qu'il a découvert son propre langage, ayant désormais à portée de main une grande quantité de solutions plastiques. Parallèlement, à partir de 1949, il a décidé de dessiner avec des plantes, en botaniste fantasque, mais qui ne trahissait jamais l'apparence de ces feuilles, de ces herbes, de ces fleurs. Et il l'a fait jusqu'à la fin de ses jours. Plus tard, il a développé son univers imaginaire dans la troisième dimension et a donc projeté ses formes en relief et aussi en leur donnant une dimension importante. Toute son histoire est présente dans cet ouvrage qui met en évidence ses qualités, mais aussi sa sensibilité dans un genre artistique qui passe pour être austère. Il y a inclus une dimension poétique qui ne reposait que sur des plans, des reliefs et des couleurs souvent exclusives. Cette exposition et ce volumineux catalogue donne la possibilité de saisir le sens de sa quête esthétique, dont nous ignorions les différents passages. Rt l'on peut aussi observer qu'il a parfois été ludique ou même baroque. En somme, tous les stéréotypes qui s'étaient attachés à son nom ici perdent toute signification. C'est un événement pour mieux comprendre ce que ce créateur a fait depuis la dernière guerre.




Une philosophie de la solitude, John Cowper Powys, Allia, 208 p., 13 euro.

John Cowper Powys est né en 1872 dans le Derbyshire (Angleterre). Il est le fils d'un pasteur. Après ses études secondaires, il entre au Corpus Christi College de Cambridge. Il a ensuite enseigné, et puis a voulu être conférencier itinérant (cela l'a même conduit aux Etats-Unis). Son premier ouvrage de fiction, Wood and Stone, a paru en 1915. Il a écrit de nombreux romans et recueils de nouvelles, des essais aussi, ainsi qu'une autobiographie publiée en 1934.
Il a été l'auteur de grand nombre de romans, de nouvelles, de recueils de poésies, d'essais de critique littéraire et aussi de philosophie. Son oeuvre, bien que publiée chez de grands éditeurs français, n'a pas rencontré l'audience qu'elle mériterait. Les Editions Allia ont donc très bien fait de faire paraître A Philosophy of Solitude, paru aux Etats-Unis en 1933. C'est un ouvrage très sérieux et aussi très austère. Il commence par un tableau récapitulatif des penseurs chinois du taoïsme, Lao-Tseu et Kouang-Tseu. Il se tourne ensuite vers les philosophes de l'Antiquité grecque et latine qui l'ont inspiré. Il débute son périple en débutant avec Héraclite d'Ephèse (500 avant notre ère), qui a intéressé aussi bien Hegel que Nietszche. Il est même convaincu que Goethe lui ait été aussi redevable. Il est fasciné par cet homme qui a refusé l'invitation de Darius d'aller enseigner à sa cour en Puis il évoque la figure d'Epictète, qui a développé les principes du stoïcisme en exil.
Powys compare l'époque d'Epictète et la sienne et trouve bien des points de ressemblance. Après avoir résumé sa pensée, il passe à Marc Aurelle (121-180). Il considère qu'il a entrepris les plus tragiques, désabusés et difficiles des entretiens spirituels avec soi-même. Il conclue son étude en parlant de Jean-Jacques Rousseau et de son étrange volupté de solitude, qu'il perçoit dans ses Confessions. Et il fait l'éloge de la poésie de William Wordworth. Ce n'est pas à proprement parler une leçon de philosophie, mais plutôt de la présentation du fondement de sa propre pensée. Dès la deuxième partie, il développe ce qu'il entend par cette quête spirituelle de l'esprit : « Tout être humain se trouve seul au coeur du mental. » Le premier cri du nouveau-né, selon lui, est la première expression de sa solitude. Et plus nous avançons en âge, plus notre solitude s'accroît. De là découle sa conception très personnelle de l'âme humaine et de sa relation au corps et au monde tangible. C'est une relation complexe qui exige de chacun d'entre nous. Ainsi, nous sommes confrontés à cet univers extérieur qui est terrible et fascinant à la fois.
Dans ces pages, il fait preuve d'une singularité qui est une sorte de transgression de l'histoire de la philosophie telle que nous l'entendons. Il y a une sorte de rigorisme dans sa pensée qui se traduit par un absolutisme de l'esprit. C'est aride et complexe, mais ce n'en est pas moins une conception qui ne peut que nous interroger.Et enfin, il ne fait pas figure d'illuminé : il y a sans doute une petite part de vérité dans sa démarche.




New York des peintres et des écrivains, Françoise Bayle, Editions Hazan, 35 euro.

Cet ouvrage est remarquable. Il nous fait découvrir l'histoire de la ville de New York, qui, en règle générale, nous est mal connue. Il faut dire qu'elle a souvent été un présent à nos yeux (et un présent fabuleux, qui dépasse ce qu'on peut imaginer dans le domaine de l'architecture urbaine) et comme elle est de fondation récente quand on songe aux cités européennes, elle ne paraît pas avoir une authentique histoire. Françoise Bayle a écrit une belle introduction qui résume à merveille l'évolution de cette ville tentaculaire, mais que nous visitons par l'imagination comme n'étant que Manhattan. Et puis, la littérature nous ont fait connaître Little Italy, Chinatown, Little Odessa, et puis Harlem, qui a été à l'origine l'un des plus déshérité.
Chaque catégorie d'émigrés à son coin de ville ou son quartier, comme Les Polonais et même les Belges, qui occupent le croisement de deux rues. Il n'y a plus de Frenche Parts depuis la fin du XVIIIe siècle. L'extension de ce qui n'était qu'un port déjà très actif est remarquablement décrit et documenté. Je regrette seulement que l'auteur ait omis de faire allusion au début du chef-d'oeuvre d'Herman Melville, Moby Dick, où le jeune héros de ce roman métaphysique découvre ce grand port et ses hôtels peu amènes.
New York, au début du XIXe siècle n'est encore qu'un point crucial pour la jeune Amérique, le lieu principal des échanges maritimes, mais pas encore une ville digne de ce nom. Mais son évolution s'est révélée rapide, d'abord dans une certaine anarchie, puis avec des plans ambitieux et tout a été différent au début du XXe siècle. Le livre est constitué de deux parties essentielles. La première consiste en de nombreuses reproductions de peintre dont, à l'exception d'Edward Hopper, nous ne savons rien. Mais ils ont été les chroniqueurs de ces métamorphoses permanentes, qui ont modelé quelque chose qui n'avait nulle part au monde son pareil. Leurs compositions nous font voir comment l'île de Manhattan s'est vite transformée en une gigantesque mégapole qui a inspiré Fritz Lang pour son Metropolis. Et leurs vedute sont pleines de charme et savent mettre en valeur ces innovations constantes.
En somme, c'est pour nous une occasion de savoir ce qu'ils ont accompli : le miroir de ce qui n'a pu que fasciner ceux qui y sont venus, soit pour y demeurer, soit par goût du voyage vers un nouvel inconnu.
Il y a aussi les écrivains américains, Edgar Allan Poe, Washington Irving, John Dos Passos, Jack Kerouac, et puis les Français qui ont laissé de longues pages pour décrire leur impression : Louis Ferdinand Céline, Paul Morand, Jeau-Paul Sartre, Simone de Beauvoir et bien d'autres encore. C'est véritablement une réussite car le lecteur ne peut qu'être fasciné par ces images et ces textes qui, selon l'époque, permet de contempler ce chef-d'oeuvre de l'Occident situé de l'autre côté de l'Atlantique, avec de nouvelles normes, de nouvelles valeurs et étant aussi l'expression d'une volonté farouche de lancer un défi au monde entier et surtout à la vieille Europe, qui est encore puissante, mais qui s'oriente inexorablement vers un relatif déclin. C'est une belle initiation à la traversée de l'océan Atlantique.




Mandiargues et le cinéma, Alexandre Castant, Quidam éditeur, 98 p., 12 euro.

Dans cette intéressante collection qui expose les relations que les écrivains du siècle dernier ont pu établir avec le cinéma, certains d'entre eux étant devenus eux-mêmes cinéastes, comme c'est le cas pour Jean Cocteau, vident de paraître un essai sur André Pieyre de Mandiargues (1909-1991). Il est l'auteur de très nombreuses nouvelles et de deux romans qui l'ont fait connaître d'un plus large public que le reste de son oeuvres, plus confidentielle, apprécié des amateurs de littérature raffinée, La Motocyclette en 1963 et La Margez en 1967, qui lui a valu le prix Goncourt. Il est inclassable se situant entre le surréalisme et Jorge Luis Borges. Plusieurs films ont été tournés d'après ses livres, dont La Motocyclette, sorti en salle en 1968, qui n'a pas atteint pas un niveau d'excellence suprême.
Mais l'ouvrage ne figure pas parmi ses meilleures créations : Mandiargues n'était pas un grand romancier : il excellait surtout dans l'art du récit. L'auteur nous fournit la liste de tous les films inspirés par ses ouvrages : Le Baldaquin, inspiré par Le Musée noir, tourné par Chantal Remy en 1966, Le Lis de mer, dirigé par Chantal Remy en 1969,Le Lis de Mer, dirigé par Jacqueline Audry en 1968, La Marée, une nouvelle tirée des Contes immoraux, dirigée par Walerian Borowczyk en 1974, La Marge, tournée en 1979, Marceline, un récit extrait de Feu de braise, en 1979, Cérémonie d'amour, sorti en1987. Aucun d'entre eux ne sont des chefs-d'oeuvre. En somme, l'écrivain n'a pas eu le bonheur d'avoir pu rencontrer un réalisateur de grand talent. Il y a bien eu d'autres projets, mais qui ont fait long feu.
Pendant son enfance, de voir des films muets. Par la suite, c'est son amitié avec Anatole Dauman, qui lui fait découvrir le cinéma de la Nouvelle Vague. Ainsi initié, il est devenu cinéphile. Alexandre Castan a trouvé de nombreuses références à des films importants, comme ceux de Kenzi Misogushi, par exemple. Cette étude est tout à fait passionnante. un aspect Fait connaître un aspect peu connu de la personnalité d'André Pieyre de Mandiargues, auteur qui, depuis mon adolescence, m'a toujours enchanté.




Contes sur le suicide, Guy de Maupassant, Editions Allia, 128 p.

Je dois avouer que quand j'ai lu l'intégralité des contes de Maupassant, je n'avais pu vu qu'il avait notion suicide dans sa prose. Toutes ces nouvelles réunies dans ce recueil ont été écrites pendant les années 1880 à l'exception d'une, rédigée en 1890. Ce qui frappe dans ce récit beaucoup plus long, publié en février « Champ d'oliviers » (paru dans Le Figaro en février 1890, formule mille manières de se donner la mort, comme s'il avait médité sur toutes ces solutions d'en finir avec le monde. On se rend compte que c'est devenu pour lui une forme d'obsession. Il en est même venu à en faire le contenu d'un rêve. Ce petit ouvrage permet par conséquent de prendre la mesure de la hantise de l'écrivain, déjà bien malade. Souvenons-nous qu'il disparaît en juillet-1893, victime de la syphilis. Cette maladie qui se développait en trois phases, l'avait mené à la folie après d'extrêmes souffrances.




Les Infortunes d'Alice, Barbara Comyns, traduit de l'anglais par Suzanne Mayoux, « Pavillons poche », Robert Laffont, 254 p., 9 euro.

Il me faut reconnaître que j'ignorais jusqu'au nom de Barbara Comuyns (1907-1992). Je découvre qu'elle n'a commencé à publier qu'en 1947, malgré le fait qu'elle ait écrit depuis sa jeunesse. Ce roman a été publié en étrange d'Alice Rowlands. re1959. Il nous ramène à l'époque edwardienne (celle de sa jeunesse) et nous relate de l'existence pour le moins étrange.
Si son esprit et son style sont très loin de ceux de Virginia Woolf, elle a deux points communs avec elle : échapper aux règles du roman victorien et ne jamais hésiter à mettre à jour les mystères du coeur humain. Cette affaire familiale paraît être une sorte d'enquête psychanalytique. Sous des et une apparences de roman familial, c'est une cruelle relation de ce que traverse la jeune Alice, aux prises avec un père brutal et une belle-mère perverse. Cet ouvrage est une belle découverte.
Gérard-Georges Lemaire
13-06-2014
 

Verso n°136

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