Les éditions Beaux-Arts de Paris viennent de publier un beau livre consacré à l'artiste inclassable Dominique Jeantet, dite Fury. En 2004, Jérôme Sans, alors co-directeur du Palais de Tokyo, l'avait ainsi accueillie lors d'un vernissage : « voici Fury, la reine de l'underground ». Fury travaille en effet dans de multiples directions, y compris des vêtements édités par Agnès B., sans beaucoup se montrer. Mais elle revendique surtout la qualité d'artiste pop, ce que montre bien le livre. Elle fut en effet l'égérie du groupe Bazooka dans les années 70. En 1994, elle a retrouvé Loulou Picasso (un ancien de Bazooka) et a expérimenté avec lui les « tableaux à deux ». Sur les toiles brutales de Fury, une artiste qui a toujours mérité le nom qu'elle a choisi, des toiles constituées de superpositions de transferts d'impressions sérigraphiques, Loulou ajoutait une part de peinture représentant des jeunes filles pour adoucir l'ensemble.
En 1999, Fury a collaboré avec Waty, un ancien du groupe les musulmans fumants qui travaillait au milieu des années 80 dans le sillage de la Figuration libre. Plus rien à voir avec les enchevêtrements en noir et blanc de Loulou Picasso. Waty apportait aux tableaux de Fury des figures géométriques et logos formant un contrepoint quasi musical aux images déjà-là ou à venir. « Il assurait la rythmique comme dans la musique techno, témoigne Fury, soutenant l'ensemble. Moi, j'empruntais, j'enregistrais. C'étaient des travaux de 40 x 40 cm sur des supports hétérogènes : toiles plastiques imprimées transparentes sur lesquelles il intervenait en peinture, après ou avant mon empreinte graphique ».
Les signes, les couleurs, les procédés de Fury qu'elle invente sans arrêt coïncident depuis trente ans avec le meilleur de la culture pop. Elle a fait sienne une phrase de Gilles Deleuze, philosophe dont elle fut proche : « quoi de plus gai que l'air du temps ? ». Il ne s'agit pas de l'expression paradoxale d'un désespoir, mais d'une formule volontariste. Elle sait parfaitement, bien sûr, que l'air du temps est irrespirable, elle qui a créé, pour Antenne 2 en 1990, le générique de l'émission Résistance, témoignage éloquent de la lucidité et de l'efficacité de l'artiste, elle qui a travaillé aussi sur le thème du cinéma (Mon cinéma, éloge du chaos, 1988). Eloge du chaos ? Sans doute, mais un chaos fécond, producteur de sensations au sein desquelles la « capteuse » Fury s'ébroue inlassablement avec optimisme. Un livre qui lui ressemble vraiment.
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