Dès son ouverture en 1902, le Petit Palais, aujourd'hui musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, a reçu le legs extraordinaire des douze milles estampes de la collection d'Eugène Druet qui renforce les richesses du cabinet d'art graphique, qui atteignent aujourd'hui plus de trente mille feuilles soigneusement gardées à l'abri de la lumière. Les commissaires de l'exposition « Trésors en noir et blanc, estampes du Petit Palais de Dürer à Toulouse-Lautrec », Anne-Charlotte Cathelineau, Joëlle Raineau-Léhuédé et Clara Roca, ont prélevé 180 feuilles pour retracer un panorama technique, iconographique et stylistique de l'estampe du XVe au XXe siècle d'où émergent les noms de Dürer, Rembrandt et Goya. (Jusqu'au 14 janvier 2024). Retenons de ce dernier, à titre d'exemple, l'eau forte, pointe sèche et retouches à la pierre noire sur papier, 1er état de 1778.
Le catalogue nous précise que Goya avait la plus grande admiration pour Velasquez qu'il tenait pour son maître, dont il voulait faire connaître l'oeuvre par le moyen de la gravure, en particulier Les Ménines du Prado. Dans ce but, il avait appris à maîtriser l'eau forte et à faire ses premiers essais à l'aquatinte pour assombrir l'arrière-plan. Cette épreuve, acquise par Eugène Dutuit en 1845, est l'un des rares premiers états à l'eau forte avant l'adjonction de l'aquatinte. Des retouches à la pierre noire ont été apportées par Goya sur les visages des personnages ainsi que sur la tête du chien. Goya avait devant lui l'état du tableau tel que Velasquez l'avait laissé en 1656. Un détail essentiel nous montre la connaissance intime que Goya avait de son modèle.
Au fond, dans l'encadrement de la porte, Jose Nieto aposentador de la reine (Velasquez, qui se représente au travail sur le tableau, était lui-même aposentador du roi). Au premier plan, l'infante Marguerite, âgée de cinq ans en 1656, qui était alors héritière du trône, ce qui veut dire que le tableau était alors un tableau de cour à caractère officiel, et ses suivantes. Parmi ces dernières, à droite, la naine Maribarbola et le jeune Nicolasito Pertusato, chargés de distraire l'infante, toutes choses fidèlement reproduites par Goya. Quand il en arrive au fameux miroir, peint par Velasquez trop à gauche par rapport à l'axe central du tableau (que désigne précisément Jose Nieto), Goya le reproduit certes, mais pas exactement. Ce miroir, qui du point de vue de la perspective, ne peut renvoyer l'image de ceux qui entrent dans la pièce, qui ne peuvent être que le roi Philippe IV et la reine (sa nièce Marianne d'Autriche). On a beaucoup glosé à son sujet. Goya se souvient, lui, qu'un petit frère est arrivé à Marguerite en 1657. Au moment où Velasquez achève son tableau, elle n'est plus l'héritière du trône et la commande lui est retirée. Il n'en maintient pas moins l'image royale dans le miroir, de moins en moins compréhensible (on se souvient de la brillante thèse de Michel Foucault au début des Mots et les choses). Mais Goya, lui, a compris et il efface les personnes du miroir. Elles sont devenues anonymes, il n'y a plus de mystère, surtout si l'on suit Hubert Damisch qui voit au XXe siècle un dialogue entre Velasquez et le Van Eyck des Arnolfini.
|