Samba wa Mbimba N'zingo Nezumi Masi Ndo Mbasi, plus connu sous le nom de Chéri Samba, né en 1956, est un « peintre populaire » de la République démocratique du Congo, dont le musée Maillol présente, jusqu'au 7 avril 2024, une large rétrospective de l'oeuvre, avec plus de cinquante tableaux correspondant à quarante ans de création. C'est une peinture joyeuse, éminemment loquace, faussement naïve et vivement colorée, dissipant illico par sa rutilante drôlerie humeur maussade et grisâtres nuées parisiennes... Toutes ces oeuvres proviennent de la grande collection Jean Pigozzi (né en 1952), spécialisée dans l'art contemporain africain, collection favorisant depuis une trentaine d'années la reconnaissance internationale des artistes vivants d'Afrique sub-saharienne. Une reconnaissance qui est d'autant moins évidente que le marché de l'art africain semble encore largement réduit - entre appropriation culturelle et trafic - au seul art traditionnel. Les acteurs habituels de la diffusion de l'art contemporain restent encore insuffisants en Afrique. Et puis maîtrisons-nous tous les codes de cette peinture ? Le regard perplexe peut aisément s'expliquer par une différence dans les évaluations esthétiques. Et par exemple le rôle majeur du texte dans la peinture de Chéri Samba : ce qui peut nous sembler béquille, faiblesse est au coeur de la « griffe sambaïenne ».
Ne faut-il donc pas commencer par un court rappel anthropologique et politique sur la peinture populaire qui a émergé à Kinshasa ? Cette peinture populaire, souvent étalée sur des murs, raconte l'histoire en marche, le quotidien et l'actualité, elle ne répugne guère à se faire « journalistique ». Les autochtones s'agglutinent avec curiosité devant cette peinture qui commente, illustre et critique. Des oeuvres allégoriques à dimension politique, voire morale...
Alors on comprend mieux certaines peintures édifiantes de Chéri Samba, véhiculant un message humaniste à vocation universelle et qui entendent interpeller les consciences (exemples : Les tours de Babel dans le monde ou bien Falsifier un nom c'est dénaturer son porteur ou encore Quelle solution pour les hommes ?). Voilà qui, selon des critères formalistes européens, pourrait être assimilé à une peinture bavarde, anecdotique. Prédicateur-peintre, Samba commente les problèmes du Congo, de l'Afrique, dénonce l'incompétence des politiques, pointe ce qui entrave le développement de son pays, salue la victoire d'Obama, etc. Sans jamais se prévaloir d'un discours idéologique reconnaissable, il nous donne son avis sur à peu près tout... Et pour cette communication, le texte (en français, lingala ou kikongo) soigneusement peint sur le tableau se rajoute à l'image réaliste, symbolique ou allégorique. C'est ce qu'il appelle d'abord « la peinture à bulles » (Chéri Samba a commencé par les enseignes publicitaires et la bande dessinée). Mais nos codes tendent à distinguer toute cette imagerie illustrative de la peinture. Et pourtant nous avons affaire ici à une généreuse facture picturale à l'acrylique, plus proche du réalisme que de l'art naïf, puissamment construite et aux couleurs éclatantes, très maîtrisées... Autre exemple de geste pictural risquant d'être mal interprété par certains : dès le début de son oeuvre, plus encore fin des années 1980, Chéri Samba n'arrête pas de se portraiturer en des mises en scènes ludiques, et même bouffonnes. Voilà qui pourrait à tort le faire taxer de narcissique (selon notre éthique chrétienne du « le moi est haïssable »). Dans Un bilan précieux, il se montre à son bureau entouré des symboles de réussite comme un paquet de dollars, un garage avec une grosse voiture, une jolie femme, des tas d'enfants, un globe terrestre (accès au monde entier). Dans Chéri Samba corrige l'historien Bogumil Jewishiewicki, il se peint sermonnant l'historien et critique d'art qui a écrit un ouvrage sur lui, les erreurs étant relevées sur un texte encadrant l'oeuvre ! Dans GTM - 2005, il se représente de dos avec son reflet dans un miroir, comme Grand Travailleur mais Menteur. Et la façon dont Chéri Samba peint, abondamment, les femmes et son rapport aux femmes ne correspond pas vraiment à ce qui s'impose aujourd'hui dans le « culturellement correct » occidental... Chéri Samba est aussi un peintre-conteur prolifique de la culture populaire et urbaine au Congo. Comment, avec notre système culturel de valeurs esthétiques, évaluons-nous ses « nombreuses chroniques du quotidien, cocasses, drôles et parfois crues, qui ont fait le succès de l'artiste à ses débuts, cherchant avant tout à déclencher le rire » ? Les commissaires d'exposition, Jérôme Neutres et Elisabeth Whitelaw, fournissent des commentaires et vidéos où s'apprécient de stimulants écarts culturels. La communication et le rire, alors que nos musées valorisent tant la grande peinture grave, pure et mutique ?...
En 1989, à l'occasion de l'exposition Magiciens de la Terre à Beaubourg, cet autodidacte trouvait un début de reconnaissance internationale. Chéri Samba a été amplement présenté au musée Ludwig de Cologne en 2000, puis dans d'autres manifestations collectives. Une rétrospective personnelle s'est tenue à la Fondation Cartier en 2004. Cette grande exposition au Musée Maillol ne fait pas que nous montrer derechef ses talents de peintre et sa réjouissante inventivité imagière : elle ose la prolixité directe, familière, et nous invite à réinterroger nos évaluations et nos cloisonnements sur peinture et communication.
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