Icônes cachées, les images méconnues de la guerre d'Espagne (1936-1939), Antoni Campañà, Editions Hazan, 144 p., 24, 95 euro.
Des photographies de la guerre civile espagnole sont restées gravées dans nos mémoires. Celles d'Antonio Campaña nous sont inconnues. Classées par grands thèmes, les photographies du Catalan Antoni Campaña nous font découvrir des aspects de ce conflit, tant sur le plan militaire que sur le plan de la vie des civils. Il y a beaucoup de ruines, et des miliciens (même des miliciennes) prêts au combat. Ce qui caractérise le travail de ce photographe est de vouloir demeurer, pour l'essentiel, à l'échelle humaine : même dans une foule (comme celle de l'enterrement de Durruti, il aime cadrer quelques visages. Ces clichés constituent une sorte de compendium de la guerre civile surtout vue du côte républicain. Il a pris soin de saisir le mieux possible l'élan populaire qui a animé les forces et le peuple antifranquiste.
Bien sûr, il a mis l'accent sur les événements qui se sont déroulés à Barcelone et en Catalogne. Mais il nous conduit aussi sur le front de l'Aragon. Il a aussi voulu immortaliser la vie quotidiennes des gens simples ou encore celle des miliciens loin de toute rhétorique et de toute propagande. Seule l'image d'Anita Garbìn, la muse de la révolution en Catalogne, le poing levé devant le drapeau anarcho-syndicaliste a retenu son attention car elle est devenue alors la Madone de la résistance à l'agression fasciste. Les scènes de guerre sont très rares chez lui. Il préfère enregistrer de quelle manière la population a pu vivre ces années tragiques. Cet album est très intéressant sur le plan historique, mais aussi très émouvant. Si vous désirez voir ses tirages, aller au Pavillon populaire de Montpellier (l'exposition est ouverte jusqu'à la fin du mois de décembre). Vous ne regretterez pas, car son approche est aussi originale que singulière. Cette guerre demeure une blessure, en Espagne bien entendu, mais aussi chez les Européens qui ont la volonté, hier comme aujourd'hui, de défendre les valeurs de la République.
Vladimir Nabokov, L'Herne, 272 p., 33 euro.
L'Ouragan Lolita, (Journal 1958-1959), Véra Nabokov, traduit de l'anglais par Brice Matthieussent, préface de Yannicke Chupin et Monica Manolescu, L'Herne, 126 p., 14 euro.
Ce nouveau Cahier de L'Herne, dédié cette fois à Vladimir Nabokov et à son oeuvre, peut être divisé en deux parties essentielles : son existence gyrovague (né en Russie en 1899, il a vécu en Grande-Bretagne, en Allemagne, puis en France, est parti aux Etats-Unis, mais est décédé en Suisse, à Montreux, en 2006) et tout ce qui entoure la parution de Lolita, qui a suscité d'innombrables réactions, a provoqué un scandale pour certains et une grande admiration pour d'autres et, enfin, a donné l'idée d'un film à Stanley Kubrick. Si l'on fait exception de quelques essais d'auteurs français souvent longs, ennuyeux et d'un intérêt disons tertiaire (on aurait préféré plus de commentaires des Américains, où il a fait grand bruit dans leur pays), ce volume nous offre de nombreux inédits de l'écrivain et aussi des échanges épistolaires surprenants, comme les lettres échangées avec Alain Robbe-Grillet. Nabokov a aussi correspondu avec Alfred Hitchcock, Jean Paulhan Saul Steinberg (entre autres). A remarquer : le petit texte de Jean-Paul Sartre, celui de Robbe-Grillet (inattendu !) et celui de Dorothy Parker, ainsi que le journal de Vera Nabokov.
Et puis on découvre un nombre non négligeable d'écrits inédits en français (« Sur l'opéra » par exemple, sur Le Docteur Jivago de Boris Pasternak, et l'on reste surpris des connaissances qu'il a pu avoir de la littérature française depuis les origines du roman - Madame de La Fayette et Lesage. Nabokov a la dent dure (il suffit de lire ce qu'il dit de Sartre, de son premier livre, La Nausée, et du petit monde existentialiste). Les entretiens sont plutôt importants car l'écrivain ne se dévoile pas beaucoup. Sans doute azurait-on aimé plus d'informations sur d'autres livres de sa main, ce qu'il a écrit en russe en particulier, pou les autres oeuvres élaborées sous d'autres cieux.
L'épouse de l'écrivain a écrit un journal très détaillé où elle raconte l'histoire mouvementée de la parution de Lolita. Bien sûr, le couple n'ignorait pas que ce roman allait avoir de sérieuses conséquences. Véra Slonim, d'origine juive, est née à Saint-Pétersbourg en 1901. Elle a rencontré Vladimir à Berlin en 1923 alors qu'il n'était encore qu'un poète peu connu. Ils se sont mariés en 19 et se sont installés aux Etats-Unis en 1940. Elle fut une épouse aimante, et aussi sa collaboratrice, traduisant ses ouvrages en russe. Leur correspondance a été publiée. Leur union était donc très solide. C'est Graham Greene qui a fait connaître cet ouvrage qui a fini par voir le jour de l'autre côté de l'Atlantique après sa publication en 1955 chez Olympia Press à Paris.
A l'époque Nabokov enseignait à l'université de Cornell. Il était en train de traduire Eugène Onéguine de Pouchkine en anglais (il avait commencé ce travail en 1952) et l'a assorti d'un nombre considérable de notes. Ils avaient entrepris un long voyage dans le pays, dans l'intention de se reposer et de chasser les papillons. Le livre avait paru pendant ce périple. De retour à Ithaca, où ils vivaient, ils ont été aussitôt assaillis par la presse et par les éditeurs. Ce fut pour l'auteur un choc certain car ses premières publications n'avaient pas eu de succès.
A Hollywood, Stanley Kubrick lui a proposé de rédiger le scénario d'un film tiré de son livre. Il a refusé. La pression est telle qu'ils décident de partir pour l'Europe. L'éditeur Doubleday a résolu de publier au plus vite des nouvelles de Nabokov. Véra raconte en détail cet été 1958 si riche en événements de toutes sortes. En septembre, Lolita est sur la liste des best-sellers. Les journalistes, tous comme les agents, se révèlent une véritable obsession. Les éditeurs lui font des propositions mirobolantes pour un nouveau roman. Et puis il y a le problème des traductions... Quand on achève de lire ces pages et si l'on est soi-même, on est en droit de se demander si c'est une bonne chose d'avoir tant de succès ! C'est véritablement un document littéraire passionnant et qui laisse pensif ! Véra a tenu ce petit journal avec beaucoup de minutie et aussi une pointe d'humour car les choses prenaient un tour délirant.
Aux Deux Magots, de la bonneterie à la limonade, Jean-Paul Caracalla, préface de Laurence Caracalla, « La Petite Vermillon », La Table Ronde », 128 p., 7, 50 euro.
Dans sa présentation, l'auteur a tenu à préciser au lecteur qu'il y a vu Umberto Eco, Alberto Moravia, Francis Bacon, Mario Vargas Llosa, Italo Calvino, Jorge Luis Borges parmi tant d'autres écrivains et artistes de renom. Et, bien avant, il y eut Fernand Léger, André Gide, Jean Genêt, et mille autres créateurs qui ont laissé une trace dans cet établissement connu dans le monde entier. L'histoire de ce lieu débute en 1813, un marchand de tissue, Camille-Henri Desabie, a donné ce nom singulier à son magasin avec les deux statues de mandarins chinois qui s'y trouvent encore. Une pièce de théâtre intitulée Les Deux Magots de la Chine, oeuvre de Marcel Sewrin, s'est donnée la même année au Théâtre des Variétés avec un certain succès. Il a commandé à Abel de Pujol une toile, que le peintre exécute et en fait une sorte d'enseigne publicitaire. Après la mort de Desabie en 1875, les actionnaires ont fait construire un grand immeuble de rapport en ce lieu.
Le magasin est repris par Jules Jaluzot, le créateur du Printemps. Mais il en a fait bientôt une sorte de réserve. Ce fond de commerce est racheté en 1884 par un certain Bihourd. Il en a fait un café-liquoriste. Mais les affaires n'ont pas été merveilleuses et il a cédé le lieu deux ans plus tard. Après bien des mésaventures, c'est Auguste Boulay Il a eu l'idée d'en faire un Café Procope moderne. Il s'est intéressé à l'endroit en 1914. Au café, il a adjoint le restaurant. Rémy de Gourmont et Paul Léautaud y sont venus travailler à leur ouvrage commun, Les Plus belles pages de Rivarol. L'histoire qui a suivi est bien connu : le tout Paris de la littérature, du théâtre, de l'art, du journalisme a fréquenté ce lieu, ainsi que bon nombre d'auteurs étrangers venus à Paris. Ce petit ouvrage est une mine qui ne saurait être mise de côté.
Lison de Caunes, la paille en héritage, Nadine Coleno, Editions du Regard, 202 p., 29 euro.
Je dois une fois de plus battre ma coulpe ! J'étais ignorant de l'oeuvre de Lison de Caunes... C'est bien regrettable car ses réalisations sont absolument remarquables. Son histoire familiale est intéressante : son grand-oncle est Paul Poiret, le célèbre styliste qui est mort dans la misère après avoir connu la gloire. Il n'habita jamais la maison qu'il avait commanditée à Robert Mallet Stevens à Mézy. Et les femmes de cette famille se sont partagées entre la littérature, la couture et la création picturale. André Groult s'illustre dans les arts appliqués. Il collabore avec Nicole Groult. Benoîte Groult, quant à elle, se consacre au roman. Elle a écrit ses premiers livres en collaboration avec sa soeur Flora. Elle a perdu son premier mari et a épousé plus tard Georges de Caunes.
Paul Guimard a pris sous son aile leurs petites filles (Lison, Blandine et Constance) car de Caunes étaient souvent absent pour son travail. Lison est née en 1948 à Boulogne-Billancourt. Elle dit avoir connu une scolarité mouvementée, mais elle a passé son baccalauréat en 1968. Puis elle est entrée à l'Union centrale des Arts décoratifs pour étudier la reliure et la dorure.
Elle a épousé Franz Wassner en 1970 et a divorcé deux ans plus tard. Très jeune, elle a été attirée par la matière. Et bientôt elle s'est mise à utiliser la paille, le parchemin, le galuchat et la coquille d'oeuf. Peu à peu, elle a perfectionné sa technique et est parvenu à réaliser son premier meuble recouvert d'une marqueterie de paille. Elle avait commencé par restaurer des créations de designers qui avaient utilisé cette technique plutôt rare. Elle a pu réaliser un ensemble pour Jean-Paul Deniot. Elle a collectionné des objets anciens qu'elle a présentés lors de diverses expositions (dont une à la bibliothèque Forney). Elle a aussi collaboré avec André Groult et Louis Teran pour des reliures très sophistiquées. En somme, elle est parvenue peu à peu à) devenir une artiste majeure dans ce domaine si peu connu et qu'elle a su faire revivre dans un langage moderne !
Alain Pacadis face B, Charles Salles, La Table Ronde, 272 p., 22 euro.
J'ai connu Alain Pacadis alors qu'il était entré à l'Institut d'Art et d'Archéologie en première année. Il a vite quitté l'univers des études pour se consacrer au journalisme (il a été » un collaborateur important de Libération). Il est devenu une figure totémique du Palace et des Bains. Il était alors vêtu d'une chemise à jabot qui était immanquablement salie par les pattes de son chien qu'il tenait souvent dans ses bras. Je dois dire que ce livre m'étonne et me porte un peu sur les nerfs. Il y est beaucoup question de sa vie sentimentale (plutôt malheureuse) et de ses vices. Tout cela ne fait pas de lui le saint patron de la nouvelle religion existentielle apparue avec Mai 68 !
J'ai ressenti une gêne relative de voir assez jeter en pâture une existence qui a été calamiteuse. Certes, ses chroniques étaient suivies et appréciées par une génération qui a voulu renverser la table des valeurs bourgeoises. On peut en revanche reconstituer l'atmosphère d'une période où tous ces jeunes bourgeois des facultés se sont crus frères du prolétariat ! De ce côté-là, l'auteur a bien fait les choses et ses récits sont crédibles. En ce qui concerne le destin de mon ami, qui a terminé très prématurément ses jours avec une pendaison ou un étranglement volontaire. On n'a jamais su exactement s'il s'agissait d'un suicide ou d'un meurtre maquillé en suicide. Dans ce livre, l'auteur a imaginé un crime commis par son ami. Mais avec quelles preuves ? Il a transformé Alain Pacadis en une figure romanesque (ce qu'il était, mais dans la vie) et a inventé des scènes qu'il ne peut avoir vues. La scène de sa mort est de la science-fiction pure ! De là ma perplexité et ma prévention.
Scènes de mort, mourir en littérature, anthologie, édition de Yann Coillot, préface de Laurent Mauvignier, Folio classique, 600 p., 9, 20 euro.
Le sujet choisi pour cette anthologie est si vaste que l'auteur a dû faire des choix cornéliens. De Marguerite Yourcenar à Marguerite Duras, d'Alfred de Vigny à Auguste de Villiers-Adam, de Voltaire à Raymond Roussel, d'Ovide à Le Tasse et à Thomas Mann, le lecteur est confronté à toutes les formes de mort possible et imaginable. Ce fut sans aucun doute une tâche difficile de faire cette sélection. De Molière et de Balzac, de Louis-Ferdinand Céline à Giuseppe Tomasi di Lampedusa, la nature provisoire de l'humanité est traitée de mille façons différentes, car la mort a tant de facettes et est perçue aussi de bien des manières.
Il est probant que Yann Coillot est parvenu à embrasser à peu près toutes les solutions concevables, de l'accident au suicide, en passant par l'agonie naturelle. De plus, le caractère de chaque écrivain, et puis l'époque où il a écrit un texte sur la question, ne sont pas indifférents à la perception de cette rupture avec la vie. Mais la mort fait partie de la vie, même si elle paraît être son abandon définitif. Cette anthologie est un inépuisable instrument de méditation pour chacun d'entre nous. Nous naissons pour périr un jour ou l'autre. Et peut-être que les événements mettent brusquement un terme à cette existence qui est tronquée d'un seul coup : les guerres, les incendies, les accidents du travail ou ceux de la route, la maladie, bref la mort est omniprésence et détermine notre destin sur cette terre. Elle nous rappelle sans cesse combien est précieux notre parcours plus ou moins long ici-bas. Et elle nous guette à chaque moment de ce passage dans un monde qui est une menace permanente.
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