Dieu et les hommes, Voltaire, édition de Nicholas Cronk, Folio Classique, Gallimard, 352 p., 7, 50 euro.
Voltaire a eu une attitude contrastée, plutôt paradoxale, qui, d'une part, en fait le défenseur inconditionnel de la tolérance, de l'autre, l'ennemi du judaïsme et de la religion chrétienne. La vérité tient dans une stratégie particulière. Comme il ne peut attaquer de front l'institution religieuse dans le régime de la monarchie absolue, il a choisi un détour : prendre à partie ce que les Juifs ont fait, surtout la rédaction de la Bible. Ce travestissement a fini par donner une théorie dominée par un antisémitisme virulent. Et d'ailleurs, dans des lettres, Voltaire fait état de relations de rapports très virulents à cause de transactions financières.
En1776, à l'âge de quatre-vingt-deux ans, il a mis la dernière main à La Bible enfin expliquée. Comme le rappelle justement le préfacier de cette édition de ce livre assez peu lu de Voltaire, il rappelle que tout a commencé avec la composition de l'Epître à Uranie qu'il a achevée en 1722. Dieu et les hommes, oeuvre théologique mais raisonnable, signée d'un pseudonyme, Dieu et les hommes, est un ouvrage plus tardif, publié en 1769, avec un éditeur sis à Berlin et avec pour pseudonyme le docteur Berner (il y a même le nom d'un traducteur imaginaire !). Il y a retracé l'histoire relieuse des grandes civilisations et met l'accent sur la suprématie du monothéisme. Voltaire peut être rapproché de la libre pensée anglaise qui a fait son apparition peu après la parution de son ouvrage. Sans doute son point de vue est-il moins minimaliste que celui des Britanniques. Mais leur rapprochement est légitime. Peu avant avoir écrit Dieu et les hommes, Peu de temps avant avoir écrit Dieu et les hommes, Voltaire a écrit ce vers : « Si Dieu n'existait pas, il faudrait l'inventer ».
Il plaide, contre toute attente, en faveurs des nations civilisées ayant un seul Dieu. Il a tenté dans ces pages de s'éloigner de s'éloigner de toute accusation de libertinage. Il n'a pas aimé les errements de l'Eglise apostolique et romaine et il n'a pas non plus adhéré à la Réforme. Son cheminement philosophique le force à convaincre ses que la religion a un rôle suprême dans le gouvernement des peuples. Il passe en revue les anciens cultes et les critiques. Au fond, il ne veut voir d'autre législation que celle émanant d'un seul Dieu. Il examine la Chine, l'Inde, dont il admire la sagesse et la grande culture très ancienne.
Il aborde la Perse et note que le culte de Zoroastre était monothéiste, mais sans vouloir approfondir ce sujet. Cette sorte de vadémécum religieux remonte le cours du temps jusqu'à nos « classiques », les Grecs et les Romains, qui partageaient plus ou moins la même religion panthéiste. Il s'arrête devant la pensée de Socrate et puis se penche sur l'Islam non sans avoir fait un détour par Bacchus ! Il s'arrête longuement sur les Juifs en qui il ne voit qu'un petit peuple assez peu estimé de ceux qui ont écu à la même époque qu'eux. Il en fait des Arabes vagabonds (l'expression est de lui). Il remet en cause l'histoire de Moïse et s'étonne de ce qui a pu s'en suivre. En somme, il ne prêtre aucun crédit aux Juifs. Il résume tout ce qu'il a déjà pu révoquer dans la littérature biblique. C'est là un résumé de ce qu'il a pu penser auparavant. Reproche aux Juifs ne n'avoir pas adopter l'idée de l'immortalité de l'âme. Puis il se lance dans des comparaisons surprenantes (entre Moïse et Bacchus par exemple). Il examine ensuite en détail toutes les formes de christianisme. Mais il en vient à la conclusion que seul compte l'Être Suprême et que le monde se conformez à son ordre. Le reste est secondaire à l’Epître, sinon caduque.
Mark Rothko, l'intériorité à l'oeuvre, Christopher Rothko, Editions Hazan, 312 p., 29 euro.
Rothko, une absence d'image : lumière de la couleur, Youssef Ishaghpour, préface de Michaël de Saint Chernon, Editions du Canoë, 104 p., 14 euro.
Le fils du grand artiste américain a réuni en un volume toutes les conférences et tous les essais qu'il a écrit sur son père. Il n'a pas écrit une biographie de ce dernier, mais plutôt une suite de réflexion éclairant la pensée de son oeuvre. Etant psychologue de formation, il a souhaité s'attacher à mettre à jour l'esprit de sa peinture qui a désormais une renommée universelle. Ce qui est passionnant au début de son ouvrage, c'est la monstration de ses premiers tableaux, qui était d'abord réalistes, et puis surréalistes au début des années quarante, et enfin abstraits, d'une manière qui ne ressemblait à aucune autre à son époque.
Il figure parmi ceux qu'on a regroupés dans l'Ecole de New York, mais cette école ne regroupait que des artistes qui avaient opté pour une recherche s'éloignant radicalement du monde visible. Au fil de sa plume, Christopher Rothko nous fait pénétrer dans les arcanes les plus subtiles de l'art de son père et nous fait comprendre ce qui l'a conduit a abandonné le premier chemin qu'il a parcouru. A mon goût, la partie la plus intéressante se trouve au début de l'ouvrage car l'auteur nous évoque ses émotions et cherche à nous les faire partager tout en nous faisant voir des tableaux d'avant 1940. Ce qui nous frappe le plus, c'est qu'il est difficile de croire que ces compositions ont été réalisées de la main du même artiste. Ce processus de déréalisation ne semble pas avoir été réalisé par la même main, et donc le même esprit. Sans doute, le touché, la manière de manier le pinceau peuvent présenter des similitudes si l'on veut bien s'atteler à cette tâche de spéléologue de la peinture. Mais cela n'explique en rien cette césure soudaine qui marque le début des années cinquante, car il n'existe aucune transition, même la plus minime. Rothko est passé d'une figuration qui s'orientait de plus en plus vers la mythologie et le dévoilement de l'inconscient - par conséquent, il est alors sans doute plus libre dans ses formes, dans ses combinaisons de figures, dans le traitement des couleurs, dans des gammes souvent dépourvues d'éclat, mais avec un grand souci du traitement de son sujet qui se fait toujours plus cryptique.
Ce renoncement à toute référence au monde tangible et puis au monde des songes et des fantasmes (vraisemblablement sous l'influence du surréalisme qui avait trouvé refuge aux Etats-Unis) a fini par aboutir à l'abolition de ce qui était la représentation, sous quelque aspect que ce fût. Mais il n'en a pas pour autant renoncé à renforcer le lien avec le spectateur, qui n'est plus confronté qu'à des plages colorées. C'est le contraire qui se produit, moins i y a à voir, plus le rapport émotionnel est fort, ce qui est un paradoxe qui est le défi qu'il a lancé alors au monde de l'art de son temps. Il ne peut cependant être rapproché d'aucun peintre abstrait auprès desquels il a évolué.
Il n'a épousé aucune des théories développées à New York pendant cette période et n'avait pas non plus de liens avec des artistes plus solitaires, tels Clyfford Still ou Mark Tobey. Chez lui, pas de démonstrations, pas de gestualités, par de géométrie, pas de rejet de toute géométrie. Non, ce ne sont que des étagements de plans chromatiques, selon mille et une procédures, mais sans jamais s'écarter d'un canevas général qu'il ne reniera jamais. Toute la magie de son oeuvre repose sur ces passages méditatifs d'un plan à un autre, et dans l'harmonie de ces plans.
La subtilité de l'analyse de Christopher Rothko ne vise pas un quelconque éloge de son père devenu si apprécié et si célèbre. C'est plutôt le désir de la part de cet homme qui ne faisait pas partie de leur relation familiale. Tout se déroulait derrière une porte, dans le secret impénétrable de son atelier, qui était le rêve éperdu d'une quête d'un absolu dans la peinture. Il a tenté dans toutes ces pages de nous faire connaître ce que lui-même a ignoré, même quand il a pu suivre le développement d'une création qui lui était à la fois si familière et si étrangère. Et ici l'auteur ne industriel (il importait du lait) Il a étudié dans institut privé dansa ville natale, puis, en 1949, à fait pas l'apologie de son père, mais s'efforce de se rapprocher de son projet qui demeure l'un des plus mystérieux et fascinant de sa génération.
Dans ce bel ouvrage sur Mark Rothko de Youssef Ishaghpour, publié posthume (il est mort en 2021), celui s'était attaché à explorer cette peinture qu'il avait jugée réduite à l'essentiel. Il a commencé par décrire sa méthode de travail et sur ses conséquences d'abord techniques et puis langagières. Il a tenu à nous faire comprendre que l'artiste n'avait pas disposé ses couleurs dans des boîtes, mais les avait disposées selon une géométrie intérieure. Il a ensuite souligné le fait que celles-ci provoquaient des « sonorités », qui étaient l'essence même de sa quête picturale. Enfin, il a expliqué toutes les déclinaisons dérivant de son choix de n'utiliser que la couleur comme mode d'expression. Ce qui pourrait passer pour une ablation de tout ce qu'un tableau, même abstrait, devrait contenir, il a tenu à abolir ce qui est formel et même la lumière, qui émane exclusivement de ses plans colorés. Ils n'en sont pas moins incandescents.
Au fur et à mesure, on finit par comprendre qu'il a utilisé une sorte de discours de la méthode pour parvenir à envisager tous les versants de la pratique de l'artiste et de ses effets sur le spectateur. Ce n'est pas une méthode rationnelle, mais qui avait pour but de rendre intelligible la relation au tableau établi par Rothko. Il a mis aussi l'accent sur ce qui l'a rapproché de ses grands précurseurs (comme Matisse ou Kupka, mais aussi de Delacroix). En somme, c'est un examen clinique très poussé, même savant, du « corps » de la peinture du peintre, mais écrit avec simplicité et clarté. Mais sans avoir eu la prétention de tout dévoiler de sa manière de faire. Il n'a fait que tenter de mettre en relief ses idées radicales et de les placer dans la perspective de l'art occidental. Il s'est aussi employé à nous faire comprendre ce qu'il n'a pas souhaité faire et en quoi il s'est vite inscrit dans la problématique de son époque aux Etats-Unis.
Ce petit livre est un grand livre, qui donne l'occasion à tout-un-chacun de pénétrer dans cet univers qui semble ne pas avoir de limites physiques, sans être ni religieux, ni métaphysique. C'est une superbe invitation à découvrir les tenants et aux aboutissants de cet art dont on peut subir sur le champ l'impact, sans pourtant avoir conscience de son origine.
Karl, une histoire de la mode, Marie Ottavi, « Arion », Robert Laffont, 696 p., 13 euro.
Il a été glorifié comme personne, adulé comme un demi-dieu et considéré comme un artiste et peut-être plus qu'un artiste. La mode, depuis un certain temps. Il était mince et toujours vêtu avec raffinement. Il aimait les mannequins aussi minces que lui et même plus encore. Mais on acceptait tout de lui. Il avait obtenu un statut particulier. Et maintenant, qu'il n'est plus des nôtres (il a disparu en 2019)), son mythe est toujours là, inébranlable.
L'auteur de cette biographie-fleuve fait partie de ces inconditionnels qui continuent à cultiver ce culte qui l'a placé dans cet Olympe de la génialité du XXe siècle. Marie Ottavi n'a omis aucun détail. Et elle raconte avec beaucoup de méticulosité son parcours. Il est né à Hambourg en 1933. Son père était un l'école Bismarck. Quand sa mère l'emmène voir un défilé de mode de Christian Dior, c'est pour lui une révélation. A l'époque, il se passionne pour le design et dessine des pièces de mobilier. Quand il s'installe à Paris en 1952, il travaille comme dessinateur de mode et obtient alors un prix en 1954.
Pierre Balmain le remarque alors et souhaite le faire travailler pour lui. Il devient l'ami d'Yves Saint-Laurent. Il lance l'idée du prêt-à-porter dans un milieu qui était réfractaire par nature à cette idée. On lui demande créer les accessoires de la maison Chloé. Il collabore aussi avec Fendi à Rome. Il s'occupe bientôt de la nouvelle image de Chanel et a imposé Ines de La Frésange comme mannequin emblématique. Et il a choisi Vanessa Paradis pour représenter la société en pleine renaissance.
Il devient le directeur artistique de Chanel en 1963. Il s'est imposé dans un monde qui n'est pas des plus aisé et devient l'un des créateurs les plus estimés. En plus d'être désormais lui-même à la mode, avec une activité vertigineuse, il se prend de passion pour la photographie et ouvre même une galerie portant son nom dans le quartier de Bussy. Son succès fulgurant présence dans la haute couture à Paris. L'auteur a très bien su faire le portrait de cet homme volontaire et fantasque. Même si ''on ne partage pas son enthousiasme, comme c'est mon cas, on est bien forcé qu'il a été une des figures prédominantes de la fin du siècle dernier et du début du nôtre.
Anne Frank et moi, Hannah Pick-Goslar, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Christel Gaillard-Paris, Robert Laffont, 480 p., 22, 50 euro.
Qui aurait pu imaginer qu'une amie d'Anne Frank ait un jour voulu relater son histoire et l'histoire de sa famille et évoquer son amitié avec cette dernière. Elle s'est retrouvée aux Pays-Bas parce que son père avait travaillé pour le gouvernement de Weimar, qu'il avait des articles hostiles au nazisme et que, de surcroît, il était Juif ? Après s'être exilé en Angleterre, la famille finit par s'installer à Amsterdam. C'est à l'école maternelle qu'elle a fait la connaissance d'Annelis, dont les parents avaient fui de Francfort
Leur rencontre a été facilité par le fait qu'elles parlaient toutes deux l'allemand, ne faisant encore que l'apprentissage du néerlandais. Elles habitaient dans la même rue. Pour la petite fille, c'était sa première amie. Rentrées chez elles, elles pouvaient communiquer depuis leurs fenêtres respectives. Les deux familles se fréquentent, même si les Franck ne sont pas pratiquants. L'invasion allemande va bouleverser leurs vies. Les restrictions et les interdictions sont toujours plus drastiques. L'existence se révèle sans cesse plus difficiles. Les deux amies continuent à se fréquenter jusqu'au jour où les Franck ont disparu : la petite Hannah trouve leur appartement vide. Elle nous raconte de quelle façon s'est déroulée la répression des forces nazies, par touches successives, sans laisser deviner de leur objectif final.
Un beau jour, on frappe tôt le matin à leur porte, et les Allemands leur donnent l'ordre de préparer en toute hâte leurs affaires en vue d'un voyage dont la destination leur était inconnue. Ils ne sont pas maltraités et arrivent finalement au camp de Westerbork, en Allemagne. Elle décrit la vie dans ce camp, qui est pénible, mais pas effroyable. Puis ils doivent de nouveau partir, et ils se retrouvent à Bergen-Belsen.
Là, les choses sont plus terribles et elle dépeint leurs conditions de vie. Elle y retrouve Anne. Celle-ci est affamée et en mauvaise condition de santé. Mais elles ne se trouvent pas dans la même partie du camp et doivent se parler à travers les barbelés. Le livre s'achève par les dernières étapes d'un calvaire inhumain. C'est une très émouvante évocation du destin de la petite Anne Frank et aussi un poignant témoignage de ce qui était le sort effroyable des Juifs dans les camps.
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