On dit que dans les années 60, André Malraux invita madame Walter-Guillaume rue de Valois et lui tint ce petit discours « Madame, j'ai un dossier vous concernant, établissant votre responsabilité dans la disparition prématurée de vos deux maris. Je peux vous envoyer en cour d'assises. Mais je peux aussi m'abstenir d'engager des poursuites contre vous si vous faites don de la collection qui porte votre nom à l'État Français. » La dame ne se le fit pas dire deux fois et Malraux put consacrer le musée de l'Orangerie à la « collection Walter-Guillaume » qui, aujourd'hui, présente une exposition uniquement consacrée aux relations de Modigliani avec Paul Guillaume, son marchand de 1914 à la mort de l'artiste en 1920. Belle exposition, car les commissaires ne se sont pas contentées des tableaux et dessins déjà en la possession du musée : elles ont fait venir des pièces de premier ordre du monde entier, par exemple La belle irlandaise en gilet et au camée (1917-1918), du Cleveland museum of art (jusqu'au 15 janvier 2024), ou bien la touchante Elvire assise, accoudée à une table du musée de Saint Louis (USA).
Modigliani, né en 1884 à Livourne, a débuté en 1898 dans l'atelier du peintre Guglielmo Micheli qui appartenait au mouvement post-macchiolisme, mouvement que Jeanne Modigliani, fille d'Amedeo, assimile à l'équivalent toscan de l'impressionnisme « le plus tardif et le plus exténué ». Combien plus essentielles en effet furent, après l'apprentissage à Livourne, ses visites des Biennales de 1901, 1903 et 1905 à Venise. Elles lui ont donné l'occasion de voir et étudier les principales tendances des avant-gardes européennes : Ensor, la Sécession viennoise, le néo impressionnisme français, le jugendstil allemand etc. C'est à Venise qu'il se lie avec le peintre chilien Ortiz de Zarate et les bientôt créateurs du futurisme, Boccioni et Soffici. C'est là qu'il prend la décision de rejoindre Paris et les avant-gardes, sans en rallier aucune.
A Paris, il est marqué par la rétrospective Cézanne de 1907 et déclare : « ses figures n'ont pas de regard, comme les plus belles statues antiques. Les miennes, en revanche, en ont un. Elles voient, même quand les pupilles ne sont pas dessinées, mais comme chez Cézanne, elles ne veulent rien exprimer d'autre qu'un oui muet à la vie. » Modigliani restera centré sur l'image humaine sans appartenir ni au réalisme ni au symbolisme. Très intéressé par les thèses de Bergson sur « l'attente créatrice » qu'il transpose en chacune de ses figures. Tête penchée, les mains souvent croisées, toutes sont littéralement retournées en elles-mêmes. Inaccessibles à une quelconque action extérieure, elles incarnent la durée. La stylisation fait de chacune un être d'essence supérieure. C'est aussi vrai pour « Paul Guillaume, nuevo pilota », 1915, musée de l'Orangerie) que pour l'admirable Portrait de Jeanne Hébuterne, 1919, collection particulière, qui clôt l'exposition.
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