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[verso-hebdo]
14-12-2023
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La chronique de Gérard-Georges Lemaire |
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Chronique d'un bibliomane mélancolique |
Goya, la ribellione della ragione, sous la direction de Victor Nietyo Alcade, Editions 24ore culture / pamlazzo Realez, Milan / comune di Milano, 192 p., 32 euro.
L'exposition de Francisco Goya (1746-1828) au palais Royal de Milan est un parcours qui donne l'occasion de découvrir les différentes facettes de son art. Après deux échecs au concours de la Real Academia di Bellas Artes di San Fernando, il a entrepris un voyage en Italie. Là, il participe vers 1770 à un concours de l'Accademia de Parme avec Hannibal vainqueur contemple l'Italie du haut des Alpes. Il n'obtient pas le prix. De retour en Espagne, il est chargé de décorer la basilique du Pilar à Saragosse en 1771. En 1775, il travaille pour la Fabrica di Tapice di Santa Barbaragrâce à la recommandation d'Anton Rafaël Mengs. IIL est ainsi entré dans l'univers de l'art officiel de la monarchie Par la petite porte. Il a réalisé sept séries de cartons entre 1775 et 1792. La plupart des petits tableaux qui se trouvent au début de l'exposition sont ces projets de tapisseries. On peut en voir d'autres, plus grands, au musée du Prado à Madrid. Toutes ces oeuvres se caractérisent par leur fraîcheur de sa palette et par ses sujets joyeux. En 1780, il est enfin admis à l'Academia di Bellas Artes di San Fernando en tant qu'académiciens de mérite après avoir fait pour cette institution des copies gravées de peintres illustres, dont Velàsquez, deux ans plus tôt. Il a commencé à fréquenter les milieux liés à la philosophie des Lumières.
L'Académie lui demande en 1792 de rédiger une relation sur l'enseignement de l'art (il a déjà une petite expérience dans ce domaine). Il est ensuite tombé malade et est devenu sourd. C'est alors qu'il a commencé à traiter des sujets aux tonalités tragiques. Le duc d'Albe lui a demandé de travailler pour lui. A sa mort, il a peint les deux portraits célèbres de son épouse. A publié en 1799 le recueil de gravures de la série des Caprichos. Ce fut un échec cuisant. Le roi l'a sauvé de ce mauvais pas en achetant un certain nombre d'exemplaires, le sauvant ainsi d'un naufrage financier. Pendant la guerre d'indépendance, il a gravé la suite d'eaux-fortes des Désastres de la guerre, qui est demeurée inédite. Il a pu publier en 1816 la suite de gravures de la Tauromachia, qui était en partie une histoire de la course de taureaux en Espagne. Entre 1814 et 1824, il a réalisé les eaux-fortes des Disparates. Il a acquis une maison dans les environs de Madrid qui a été surnommée la « Maison du sourd ». Mais le sourd était l'ancien propriétaire ! Il s'est rendu en France en 1824 et est mort à Bordeaux quatre ans plus tard.
L'exposition donne la possibilité de suivre le parcours abrégé de cet immense artiste. On peut y voir des gravures avec leur plaque en cuivre, de nombreux quelques dessins d'inspiration religieuse (dont des crucifixions, et aussi un superbe tableau de 1780 d'une Mise ne croix. On y découvre aussi de nombreux portraits peu connus, qui peuvent montrer qu'il était autant introduit dans certains milieux aristocratique que dans ceux de l'intelligentsia. Depuis son Hannibal de 1771, bien qu'il n'ait pas été peintre de cour, a pu réaliser des tableaux importants, comme le portrait de Carlos IV ou celui de Mario-Luisa de Parme, qui n'était pas rendu telle qu'elle était, c'est-à-dire assez laide ! Goya n'a d'ailleurs jamais tenté d'embellir les membres de la famille royale. Les projets de tapisseries de ses débuts contrastent singulièrement les compositions de sa maturité. Même Les Jeunes femmes de 1810-1812, qui demeurent d'une humeur légère, sont caractérisées par des vêtements très sombres. Reste le mystère qui entoure les toiles de petite dimension, qui devaient être des commandes modestes (comme par exemple, La Vierge avec saint Giacomo et sainte Anne, 1774). On ne voit pas dans les salles du palais royal les nombreux ex-voto qu'il a exécutés. Il est évident qu'il avait une vie parallèle avec une clientèle plus modeste que celle qu'il a pu rencontrer à la cour. Qu'on ne se plaigne pas : ce catalogue ouvre de nombreuses perspectives pour connaître cet artiste si complexe et parfois mystérieux. Le catalogue est un bon moyen de s'initier à cette carrière déroutante pour son époque et aussi déroutante à nos yeux.
La Photo brute, chimères et perversions, Michel Thévoz, L'Atelier contemporain, « Studiolo », 174 p., 8, 50 euro.
Spécialiste de l'art brut, ancien conservateur de la collection de l'Art brut à Lausanne, Michel Thévoz est sans aucun doute l'un des meilleurs spécialistes dans ce domaine. Il a écrit cet ouvrage dans le prolongement de ses recherches pour comprendre comment une photographie peut être aussi une oeuvre brute. Le ratage dans ce domaine ou la technique tient une place aussi grande que celle de la qualité de l'opérateur, peut-il constituer une catégorie esthétique en soi (dans l'optique d'un anti-art plus ou moins volontaire) ? C'est un questionnement qui peut paraître un tant soit peu incongru. Pour s'en convaincre, il ne faut considérer que les ratages réussi -, ce qui est un paradoxe dans les termes. En premier lieu, il convient de refuser que la photographie ne soir là que pour représenter le réel dans sa plus stricte acception. Jean Dubuffet est convaincu que la photographie peut être aussi fidèle qu'infidèle à la réalité qu'elle est réputée capter. Sert-elle avant tout à dématérialiser des icônes ? Pour l'auteur, elle se rapproche plus que la peinture de la vera icona (le visage du Christ sur le drap) que ne pourrait le faire l'oeuvre peinte.
Elle peut aussi se mettre au service l'occulte et montrer ce qui par définition ne saurait l'être. On a vu se développer des studios de nature spirite. Même des personnes dotées d'un bagage scientifique ont recherché par exemple de saisir les effluves des doigts. Le médium photographique peut créer des formes aléatoires. Dans le cas d'artistes qui sont issus de la psychiatrie, la photographie offre un modèle. Mais ce modèle peut être le fruit d'une déformation volontaire. Michel Thévoz a répertorié un nombre significatif de créateurs « bruts » qui ont recours à diverses méthodes (montage, collage, superposition, etc.) pour obtenir une vision des choses (et surtout des figures humaines) qui n'appartient qu'à eux et qui est donc d'une nature éloignée de la réalité. La question que je me pose à ce stade par rapport à son analyse est que ces procédés ressemblent beaucoup à ce qu'ont pu faire les dadaïstes ou les surréalistes. Il n'y a de différence que dans la dextérité de la réalisation.
En somme, cette étude a le grand mérite de montrer que les artistes bruts ont pu faire et font encore usage de la photographie. Mais les thèmes abordés ne sont pas distants des thèmes choisis par des professionnels qui, eux aussi, touche au voyeurisme, au fétichisme. Seul le ratage leur est spécifique. Cet ouvrage nous ouvre des horizons dans cette classe de créations hors-champ de l'histoire de l'art récente. Mais il ne me semble pas qu'il a su discerner la spécificité de l'art brut dans ce domaine.
Angela Passarello, scritto in mare, préface de Gino Di Maggio, Mudima, 96 p.
Nous pouvons regarder les ouvrages d'Angela Passarello (dessins, peintures, sculptures) comme un gigantesque bestiaire imagine où le monde marin est prédominant. Le regretté Sergio Dangelo a parlé de « bêtes sur scène » dans un court et brillant texte reproduit dans ce volume. L'artiste n'a rien produit de spectaculaire, mais plutôt une collection d'animaux extravagants, qui ne sont pas si éloignée que ça de nos animaux familiers. Cet album L'être humain n'est pas absent de ses compositions, mais il donne l'impression de tenir un rôle mineur dans cet univers intégralement fantasmé. Il y a une pointe de surréalisme et aussi d'humour dans cette ménagerie de l'imaginaire. Ces animaux, aux proportions improbables, n'ont rien d'infernal ou de mystérieux. Ils sont tout simplement des inventions fantasques qui peuvent se retrouver dans un décor urbain ou au bord de la mer.
En fait, les hommes sont grotesques face à ces créatures qui sortent tout droit de l'esprit d'Angela Passarello. On les voit souvent dans des Ils ont la révélation d'un monde nouveau, un peu onirique, un peu infantile, un peu « naïf », qui celle employée par le Duse rapprochent de ces bêtes inconnues et surprenantes dans leurs frêles embarcations, ou qui les observent depuis le rivage. Ils ne sont pas pourvus d'armes pour la chasse : seule la curiosité les anime. La couleur est tout aussi vive et rêvée que celle employée par le Douanier Rousseau, qui faisait lui aussi apparaître des fauves de ses forêts improbables et si belles dans leur exotisme cérébral. L'exposition d'un grand choix de ces oeuvres à la Fondation Mudima de Milan en 2009 a été une expérience merveilleuse car son petit monde issu de l'inconscient plus que d'une réflexion consciente Ce n'est pourtant pas véritablement de l'art brut, mais le désir de vivre avec toutes sortes d'éléments de la vie animale qui n'appartiennent pas du tout à notre univers concret. Les sculptures sont aussi divertissantes que délicieuses. Bien sûr, ce jeu est soutenu par une grande habilité technique et une sensibilité plastique indéniable. Un certain nombre de scènes peintes mettent en relation, dans une confrontation drolatique, son petit cheptel et la ville moderne, réduite à une expression stylisée. On ne peut qu'être séduit par ce bestiaire fabuleux qui n'est que la traduction d'une joie intérieure qui a pris un tour esthétique communicatif.
Alfonso Borghi, i colori raccontano, preface de Jean Blanchaert, Editoriale Giorgio Mondadori / Mudima, 64 p.
Né en 1944 a Campagna di Reggio Emilia, Il a décidé de se consacrer à la peinture à l'âge de dix-huit ans. Il a fait un bref séjour à Paris, qui lui a permis de découvrir le suprématisme russe et les tableaux d'Oskar Kokoschka. Cee furent deux révélations qui vont ensuite se traduire dans son langage pictural. Ce catalogue montre les deux aspects de son ouvre qui ont été présentés très récemment à la Fondation Mudima de Milan. La première (et la plus importante) suite est celle de compositions monochromes d'un format relativement important. Il s'agit de compositions monochromes (bleues, vertes, blanches, violettes, rouges, etc.). Mais elles ne sont pas de caractère minimaliste, bien au contraire. Les reliefs qui couvrent toute la surface de la toile procure un sentiment de vie intense que les diverses couleurs n'abolissent pas. La couleur donne ici une tactilité et une ductilité à l'oeuvre. Sans aucun signe, et sans une organisation planifiée de l'espace, on ne peut qu'être conquis par ces modulation du plan où le peinture a travaillé. C'est très troublant et aussi très prenant.
Le spectateur n'a pas l'impression que le tableau se résume à l'apologie d'une couleur. Celle-ci n'existe qu'en relation avec cette étendue uniforme. C'est sans doute ce rapport qui insuffle tant de vie dans ces espaces qui, en général, n'offre rien à la raison. C'est un procédé simple qui préside à la production de toiles produites cette année même. Il convient d'ajouter que les reliefs ne sont jamais identiques et qu'ils peuvent plus ou moins prononcés, ce qui modifie beaucoup leur effet. On peut aussi découvrir des ouvrages d'une autre nature, abstraites elles aussi, mais résultat d'une construction complexe du plan pictural avec un grand nombre de couleurs. Il est impossible d e discerner un ordre ou ne serait-ce qu'un semblant d'organisation géométrique ou autre. Mais le mouvement intérieur de cet enchevêtrement presque tournant engendre une fascination insidieuse mais indéniable : l'oeil est pris à ce piège optique et n'est pas en mesure de s'en défaire. Je dois dire que je découvre les spéculations d'Alfonso Borghi - et je tiens à ajouter que je suis vraiment séduit par sa conception de l'art de la peinture.
Un sentiment qui tient le mur, Pierre Bonnard, préface d'Alain Lévêque, « Studiolo », L'Atelier contemporain, 160 p., 8, 50 euro.
Cette anthologie d'écrits et d'entretiens avec Pierre Bonnard est merveilleuse. Bonnard n'est pas célèbre pour ses écrits, comme Léonard de Vinci ou Vincent Va, Gogh avec ses lettres. C'était d'ailleurs un peintre discret, qui avait pour principal sujet l'intimité et quand il traduisait sur la toile ses impressions sur la ville, il s'efforçait de rendre le mouvement de la vie quotidienne sans emphase de quelque sorte. Ces notes brèves ont été consignées rapidement sur des pages d'agenda et sont parfois accompagnées de croquis. Commencées pendant les années vingt, il a continué à les écrire jusqu'en 1946 (un an avant sa disparition). Ces documents sont suivis d'autres notes sélectionnées pour être publiées dans la revue Verve. Il a tenté de se souvenir de pensées qui lui ont traversé l'esprit et qui sont des propos sur le métier et l'art de la peinture. Il n'y a chez lui aucune doctrine, simplement des observations sur le faire artistique et tout ce qui peut l'influencer.
C'est passionnant parce que Bonnard n'a jamais eu la prétention de produire sa philosophie esthétique. Après quoi, le lecteur pourra découvrir des essais sur des collègues qui l'ont marqué, comme Maurice Denis, Auguste Renoir (qu'il a bien connu) sur Maillol. Il donne quelques indications sur l'art en France et se déclare hostile à l'abstraction. Suivent ensuite des entretiens qui marquent les différentes étapes de son existence et de son expérience de peintre ou de graveur. Ils sont toujours plutôt courts, car il n'a jamais été un homme de la parole ni quelqu'un qui éprouvait le besoin de se dévoiler. Mais ils n'en sont pas moins très intéressants. Quelques lettres et quelques dessins concluent cette publication qui est d'un intérêt pour un savoir un petit peu plus sur ce peintre qui est parvenu à faire de son atelier un lieu de jouissance des couleurs, de la lumière et de figures qui lui ont été familières et qu'il a souhaité nous faire connaître à travers un prisme particulier, celui de sa vision du monde à nulle autre comparable.
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Gérard-Georges Lemaire 14-12-2023 |
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Verso n°136
L'artiste du mois : Marko Velk
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