Les éditions Dilecta viennent de publier un ouvrage considérable sur chantalpetit (en un seul mot et sans majuscule) qui aborde tous les aspects de sa création foisonnante sous les signatures, notamment, d'Alain Jouffroy, Marie-Laure Bernadac, Eduardo Manet, François Barré, Fabrice Hergott etc. J'avais été impressionné, en son temps, par « Le festin des dieux », mais je suis arrêté² aujourd'hui par ses « sculptures de peintures ». Parmi les artiste s contemporains, il en est qui prennent en quelque sorte à bras-le-corps le moment historique dans lequel ils se trouvent et nous invitent à renouveler notre conception de l'art. La créatrice chantalpetit est au premier rang de ceux-là. La mort de l'art annoncée jadis par Hegel, consécutive pour lui à l'avènement d'un savoir absolu, a peut-être effectivement signifié la naissance à venir d'un art authentique qui n'aurait plus à dire autre chose que lui-même. Nous y sommes.
Le regard libéré par la multitude des révolutions esthétiques du XXe siècle, est capable désormais de rendre aux oeuvres du passé l'hommage que leurs contemporains n'ont pas su leur accorder, et de les convertir en objets esthétiques : chantalpetit a commencé pour son compte hier avec son impressionnante suite du « Festin des dieux ». Elle a continué avec ses « Sculptures de peinture » de 1916 à 1918. « En peignant, écrit-elle, j'ai souvent la sensation de sculpter la couleur dans la masse... Je fais de la sculpture en prenant le tableau lui-même comme matériau. J'appelle ça de la « sculpture de peintures... » Cette artiste est intéressante parce qu'elle est l'héritière consciente d'une époque qui a découvert les primitifs, la musique atonale, a traversé le surréalisme et dépassé l'abstraction. Elle se filme, par exemple, en train de sculpter la terre crue sans repères visuels, car elle travaille à l'aveugle et seul le son guide ses mains, alors qu'elle dispose d'un grand savoir technique et d'une ample culture artistique. Elle joue, en tant qu'artiste, le jeu suggéré par l'histoire, de même que Baudelaire, en tant que critique, savait exalter Delacroix et Daumier sans être dupe du raphaëlisme à la mode de son temps. Sa démarche évoque ainsi celle de Willem De Kooning, qui lui aussi aimait peindre en se masquant les yeux ou sculpter la glaise en enfouissant ses mains dans deux paires de gants, de manière à se tenir à l'extrême limite séparant la forme de l'informe, sans cependant jamais la franchir. L'un et l'autre se libèrent de toute influence par ce moyen.
Ce faisant, elle défie le commentateur qui aborde son oeuvre remarquablement prolifique au sein de laquelle se sont multipliées les séries. Sa créativité en ébullition transforme en travail d'art le moindre de ses gestes. C'est ce qui apparaît dans cet ouvrage de 382 pages bien documenté et illustré.
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