Sans être exhaustif, qu'il s'agisse de Meurtre dans un jardin anglais, Prospero's Books, The Pillow Book, La Ronde de nuit et, enfin, de son dernier film, Goltzius and the Pelican Company, il est toujours question pour le réalisateur de cinéma britannique Peter Greenaway (également auteur, plasticien et créateur de sites Web multimedia) d'user en virtuose de la fonction métalinguistique du langage cinématographique, pour revenir et s'interroger sur l'image... L'image au cinéma, mais aussi en peinture, gravure et dans l'illustration. Esthéticien érudit, chercheur ironique, Greenaway revisite sans cesse les grandes peintures et les textes fondateurs, se livrant à une iconologie d'inspiration freudienne.
Derrière telle ou telle scène mythologique, pourquoi ne pas pointer la perversion en jeu ?... Ainsi, dans Goltzius and the Pelikan Company, Hendrik Goltzius (graveur néerlandais du XVIème siècle qui a vraiment existé et réalisé une oeuvre admirable de technicité) propose au margrave d'Alsace de mettre en scène, avec sa compagnie théâtrale, quelques tableaux vivants. Des thèmes bibliques (Les Filles de Loth, David et Bethsabée, Samson et Dalila, Joseph et la femme de Putiphar, Saint-Jean Baptiste et Salomé...) voient leur charge transgressive et perverse mise à nu, et clairement reprise par une audacieuse mise en scène théâtrale. Dans Meurtre dans un jardin anglais, certes nous avions une enquête policière qui se déroulait au XVIIème siècle, mais en même temps le film posait des questions sur le champ et le hors-champ (aussi le patent et le latent !), le cadre et ce qu'il exclut. Dans Prospero's Books, le spectateur se régalait avec cette somptueuse illustration de La Tempête de Shakespeare, mais aussi se déployait là une réflexion sur l'artiste comme magicien (image, anagramme de magie n'est-ce pas), ou enfant terrible qui fait, défait des univers. Dans La Ronde de nuit, film éblouissant, l'oeuvre magistrale de Rembrandt est analysée selon une série d'indices troublants, par un Sherlock Holmes esthète, à la fois « profiler » et féru d'iconologie. A quoi joue donc l'inclassable Peter Greenaway ?
A l'évidence le cinéma narratif, illustrant de multiples scénarios, eux-mêmes inscrits dans la structure des romans du XIXème siècle, ne l'intéresse plus du tout. Voilà pourquoi Peter Greenaway déroute (ou pire ennuie) bon nombre de spectateurs qui attendent toujours, en 2014, la bonne histoire et n'ont que faire de cette brillante herméneutique. Jean Gabin disait : « Pour faire un bon film, il faut trois choses : 1° Une bonne histoire 2° Une bonne histoire 3° Une bonne histoire » : seulement voilà, cette affirmation date un peu !... Les étudiants en histoire de l'art, en écoles de cinéma et ceux qui sont formés aux arts graphiques raffolent des films de Greenaway, qu'ils trouvent à la fois réflexifs, impertinents et créatifs. De la même façon, les psychanalystes intéressés par le décryptage des oeuvres picturales se délecteront de toute cette « économie libidinale » analysée sans peur, et dépensée en imagerie érotique. Mais, au-delà de ce formalisme expérimental et de cette iconologie freudienne, le cinéma de Peter Greenaway nous offre une esquisse de ce que pourrait devenir l'image demain. Dans une interview stimulante parue dans Le Nouvel Observateur, Greenaway avoue rechercher « Un cinéma autonome, non-narratif, multi-écrans et conjugué au présent ». Il rappelle qu'on peut réaliser des films évolutifs, désormais, à 360° et sans cadre...
L'iconologie n'est pas seulement cette étude des symboles, thèmes, messages dans la peinture, saisie avec son contexte socio-historique. Ce peut être aussi une « étude des images à travers les médias » (W.J.T. Mitchell), et enfin une recherche prospective sur le statut et les possibles de l'image dans notre futur proche. A l'ère du numérique, de la 3D, des hologrammes, de la « réalité augmentée », etc., il est bienvenu de s'interroger comme Peter Greenaway, par des ouvrages, des films et des sites Web, sur de nouvelles esthétiques pour l'iconographie à venir... Esthétiques induites par ces technologies émergentes. On rencontrerait, déjà en route dans ces directions à explorer, aussi bien un Chris Marker bien sûr (recherches d'avant-garde) qu'un Jean-Pierre Jeunet ou un Michel Gondry (plus « grand public ») ou, plus récemment, un Sebastien Betbeder (type d'images bloc-notes dans 2 automnes 3 hivers qui ferait penser à une nouvelle... Nouvelle Vague).
Mais, si beaucoup reste encore à faire avec l'image, est-il nécessaire de renoncer à la narration, qui peut se réinventer à petites touches ? N'oublions pas certaines impasses du Nouveau Roman. Et elles coûtent bien plus cher au cinéaste qu'à l'écrivain !
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