oeuvres, Philippe Jaccottet, Bibliothèque de la Pléiade, NRF, Gallimard, 1728 p., 66,50 euro.
Sans doute le talentueux traducteur a longtemps été plus connu que le poète : il a traduit Rilke, Musil, Thomas Mann, Giuseppe Ungaretti et tant d'autres. C'est l'université qui s'est emparé de lui alors que le public continue largement à le méconnaître. Et pourtant, il se révèle l'un des poètes de langue française les plus passionnants. S'il a fréquenté Ponge et s'il a aimé le Nouveau Roman, Jaccottet est demeuré dans le camp des classiques -, un classique qui n'a aucune peur du moderne. Quoi que : prenons pour exemple A la lumière d'hiver (1977). Les poèmes sont construits selon des principes différents, allant du symbolisme à un mode d'expression plus contemporain. Cela était déjà vrai dans l'Ignorant vingt ans plus tôt. Mais plus que sa poésie, sa prose transporte. Il possède un don et une originalité de narrateur qu'il a sans doute emprunté à des auteurs comme Stfiter. L'Obscurité (1961) est une petite merveille. Il faut se l'avouer. Là encore, il joue sur l'ambiguïté entre le style du XIXe siècle et celui de son temps. Cela rend sa prose unique et toujours plaisante, bien qu'intense et pleine. Les carnets, qui constituent l'essentiel de son oeuvre, sont aussi satisfaisants pour l'esprit. Mais rien ne m'a plus transporté que de relire le Bol du pèlerin (2001), un de trop rares essais sur la peinture. Le terme « essai » n'est pas trop approprié car il s'agit plutôt d'une méditation extrêmement subtile sur la peinture du « solitaire » de Bologne, Morandi. Dieu sait si l'on a écrit sur ce dernier, déjà de son vivant ; et sa posture était un peu une imposture, car il connaissait tous les critiques importants de son époque ! Mais son art n'était pas une imposture, et Jaccottet a très bien en explorer les arcanes. Il a su aussi en décrypter la poésie par les moyens du dessin ou de la couleur. En somme, cet ouvrage révèle le parcours d'un homme qui s'est mis en marge de tout ce qui aurait pu lui apporter la gloire factice du succès au nom d'une vérité qu'il va traquer dans la nature, dans l'âme de homme et au fond de ses rêves.
Les Lieux de Pascal Quignard, actes du colloque du Havre, « Les Cahiers de la NRF », Gallimard, 272 p., 21 euro.
Quoi de plus ennuyeux que la lecture d'actes d'un colloque ? En fait, ce ne sont pas des recueils à lire comme un livre normal. Ils servent à picoter et à découvrir des perles ou des mines à explorer. Celui-ci ne fait pas exception à la règle. Mais il peut se révéler précieux car Pascal Quignard est sans nul doute un de nos grands écrivains, mais aussi un des plus complexes. Comme je l'ai écrit il n'y a pas longtemps dans ces colonnes, il excelle dans presque tous les genres, même les plus complexes, mais se révèle incapable d'écrire un roman digne de ce nom. Ici, nous trouvons de précieuses informations sur son enfance, dont un entretien fait à l'occasion, de cet événement sur ses origines (car il est natif du Havre). De plus, une partie des communications est consacrée à l'eau et à la mer dans ses écrits (dont celle d'Arlette Farge, qui est intéressante, mais trop courte à mon goût). Bien sûr le monde latin y est évoqué à plusieurs reprises (en particulier Pompéi (sous la plume de Bénédicte Gorillot), car c'est l'une de ses grandes passions et il nourrit son travail d'écriture. En somme, tout amateur de l'écrivain pourra y trouver du grain à moudre. Ce qui m'a frappé le plus dans ces essais, c'est l'insistance portée sur le lieu et son absence, sur le topos de l'écriture et le vide. Et je ne risque pas grand chose en pariant qu'il y aura d'autres événements de ce type pour analyser un quête littéraire aussi riche et palpitante.
Le Trésor de Naples (les joyaux de San Gennaro), Gallimard/musée Maillol, 186 p., 35 euro.
Naples et le trésor de San Gennaro, Paolo Lorio, « Hors série Découvertes », Gallimard, s.p., 8,90 euro.
Le catalogue de l'exposition qui a lieu en ce moment au musée Maillol de Paris est tout à fait remarquable et, en plus, est indispensable à tous les amateurs de Naples. Saint Janvier est le patron de Naples. Chaque ville d'Italie a son patron et protecteur, Milan, Ambroise, Venise, saint Marc, Bologne, Petronius, Bari, Nicolas (saint orthodoxe !), Palerme, sainte Rosalie. Mais jamais la ferveur de tous les habitants, de toutes origine sociale, de tous les quartiers, ne s'exprime avant tant de force que lorsque vient le jour où est célébré ce martyre victime des persécutions de Dioclétien. Au cours de la cérémonie religieuse est sortie la fiole où est conservé son sang, qui se fluidifie en cette seule occasion. Le miracle se répète tous les ans et la superstition se mêle et se confond avec les mystères de l'Eglise catholique. Et, au cours du Moyen Age, l'édifice dédié au grand protecteur de la cite parthénopéenne (la chapelle royale construite au XVIIe siècle à l'intérieur de la vieille cathédrale) s'est rapidement transformé en une forteresse contenant un trésor inestimable. Les représentations du saint (en particulier de grands bustes en argent), des objets liturgiques de toutes sortes et des vêtements ecclésiastiques figurent parmi les plus beaux et les plus riches qui soient. D'autres saints et aussi des anges et des archanges, sculptés dans des matières précieuses, souvent en argent qui est quelques fois rehaussé d'or, ont été offertes pour rendre ce lieu encore plus fastueux. A toutes ces choses magnifiques, dont la célèbre tiare ornée de joyaux somptueux et le fastueux collier commencé en 1659 doivent être regardés comme de pures merveilles de l'art religieux, tout comme le masque en or du saint. Des tableaux représentant Naples à différentes époque, le Vésuve et bien sûr les images peintes du saint complètent cet ensemble sans égal. Le catalogue contient un document : le récit du miracle par Alexandre Dumas. Et les textes de Jean-Noël Schifano, de Giuseppe Galazzo, de Jean-Louis Champion nous éclaire sur l'ancienne Napule et sur sa relation à cet événement qui a lieu dans le très populaire quartier de Spaccanapoli. C'est une réussite pour introduite le visiteur et le lecteur à l'esprit d'un peuple. Quand au petit ouvrage de la collection « Découvertes », il explique l'essentiel sur cette croyance qui a traversé les siècles et sur cette figure qui est devenue le symbole de la ville qui fut gouverné par les Angevins ou les vice-rois d'Espagne.
Correspondance Romain Rolland - Stefan Zweig, 1910-1919, édition établie par Jean-Yves Brancy, Albin Michel, 640 p., 30 euro.
Stefan Zweig a sans doute été le plus étrange témoin de son époque, entre une guerre et une autre. La découverte de l'oeuvre de Romain Rolland a été pour lui une révélation extraordinaire en 1907 quand il lit la première partie de Jean-Christophe. Il y a enfin trouvé son idéal. En 1910, dans l'espoir de le connaître, il lui adresse sa biographie de Verhaeren. Et la rencontre tan espérée advint un an plus tard à Paris. Le jeune auteur autrichien avait déjà tracé son sillon et sa renommée s'affirmait. Romain Rolland était ravi de rencontrer un jeune homme de culture allemande qui partageât ses vues sur l'Europe et la fraternisation des peuples. Une amitié va naître entre eux et, pour Zweig, une admiration sans borne qui a duré une décennie. Ils vont échanger quelques cinq cents lettres, et ne se limitaient pas à un simple échange fraternel, mais constituaient une continuelle discussion, qui ne peut plus avoir de limites ni de fin. Mais, parmi tous les grands personnages dont il a condensé la vie, de Castillon à Marie-Antoinette en passant par Tolstoï, jamais il n'a écrit celle de l'auteur de Colas Breugnon. Il faut se plonger dans ses souvenirs, c'est-à-dire dans - le Monde d'hier - pour qu'il pensa à expliquer pourquoi il s'était tant rapproché de cet homme de lettres qui se voulait un homme phare. Sans doute ce désir de peser sur le cours des choses avait-il contribué à s'éloigner de lui. Zweig était un fin observateur de l'Europe qu'il parcourait quand sa tâche énorme lui permettait. Dommage que cette correspondance n'aille pas plus avant dans le temps car Zweig a écrit à Rolland son choc quand il a appris que l'homme d'Etat Ratheneau avait été assassiné en 1922. Peu à peu, devant les événements qui suivent l'armistice, Zweig perd la foi en l'Europe unie. Il est conscient du danger que représente le nazisme (et il le dit souvent), mais ne croit pas une seconde à son succès. En somme, il a une sensibilité rare à ce qui se passe autour de lui, mais ne se sent ni la force de se battre ni celle de s'engager en politique. Oui, Zweig a été un observateur et son acuité intellectuelle l'a rendu aveugle à ce qui était essentiel. L'histoire de cette relation fondamentale pour sa formation Son pacifisme et son utopie latente se heurtent contre la dure réalité. Sans doute est-ce l'une des causes majeures de son suicide en 1942. Il ne possédait pas la foi du charbonnier de Rolland.
Filles impertinentes, Doris Lessing, traduit de l'anglais par Philippe Giraudon, Flammarion, 144 p., 14 euro.
Doris Lessing (1919-2013) a marquée de son empreinte la littérature anglaise du siècle précédent. Dans son très grand âge, elle a voulu laisser à ses admirateurs un livre de souvenirs, merveilleusement écrit et d'une grande simplicité, où elle relate sa relation avec ses parents, ses difficultés avec une mère, qui avait eu une attitude rebelle envers sa classe sociale, et qui ne rêvait surtout d'avoir un fils, et avec un père qui a vécu les horreurs de la guerre et qui y avait perdu une jambe. Sa famille connu une vie errante d'abord en Perse (ou elle est né), puis en Afrique, où elle finit par se retrouver dans situation difficile, alors que le père rêve de trouver de l'or dans sa propriété. L'enfant, qui n'avait aucune affinité avec son frère, a dû s'adapter à cette absence d'amour de la part d'une mère qui croit que celle-ci la déteste et d'un père perdu dans ses manies et ses excentricités. Malgré ce conflit permanent, cette mère se révéla une excellente éducatrice. Elle prit un emploi, se maria, eut un enfant et rentra en Angleterre. Elle s'était mise à écrire des romans. Dans ces pages, Doris Lessing brosse aussi un panorama de l'esprit britannique qui croyait que l'Empire était un bien voulu par Dieu. Elle a su échapper à toutes ces conventions et convictions pour devenir une femme libre, sans rancoeur et sans animosité.
Théorie de la carte postale, Sébastien Lapaque, Actes Sud, 114 p., 10 euro.
Dans ce petit ouvrage charmant, le narrateur tente de mettre au point une méthode de classement des cartes postales. Il accumule les tentatives, mais aucune ne lui convient pleinement, d'autant plus qu'elles n'ont rien de rationnelle et même de convaincant. Sa démarche est trop subjective. Deux vers de Louis Aragon lui offre une piste. Mais ce n'est en réalité que le prétexte à des rêveries que lui inspirent ces cartes postales et parfois les messages qui y sont inscrits. Il faut prendre ce petit livre comme une fantaisie, une sotie pour mettre au clair une manie qui prend un tour légèrement obsessionnel. Mais il a le mérite d'exalter le pouvoir de fascination que peuvent exercer des objets dès qu'ils ont trait à la mémoire. C'est écrit avec délicatesse et avec une raffinement qui donne à ces pages leur douce et tendre intensité. Mais j'aurais aimé que l'auteur aille un peu plus loin dans sa plongée en apnée jusqu'au fond de son engouement. Comme beaucoup d'auteurs de notre époque, Sébastien Labaque a traité un sujet mineur sur un registre mineur.
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