Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art, sous la direction de Vincent Chambarlhac, Thierry Hohl & Bertrand Tillier, Hermann, 360 p., 32 euro.
En dehors de quelques spécialistes, le nom de Léon Rosenthal (1870-1932) ne dit plus grand chose à nos contemporains. Les responsables de cette édition ont eu une idée judicieuse : plutôt que de faire un colloque, ils ont décidé de mettre à contributions différentes personnes qui, chacun e, traitent d'un aspect de sa vie. Nous mettrons de côté l'homme politique tout comme sa vie privée et nous nous limiterons au critique d'art et à l'homme de musées. Rosenthal a été avant tout un enseignant. Et c'est l'histoire qu'il a inculquée aux nouvelles générations. C'est sans doute la raison pour laquelle qu'il en est venu à concevoir un « art national », concept battu en brèche par les avant-gardes, mais qui renaît toujours de ses cendres. Il est vrai que dans notre part, la création artistique a toujours été très liée au pouvoir politique. Et l'Etat ne s'a jamais renoncé à cette emprise sur les artistes : en supprimant le Salon en 1881, il en fonde un autre et puis plusieurs autres. Et encore maintenant, il intervient par la commande publique, les bourses, les expositions à grande échelle, les expositions à l'étranger. Socialiste, collaborateur à L'Humanité, il n'en est pas moins un patriote (comme Michelet avant lui). Mais il est malgré tout conscient de l'apport important des créateurs venus de l'étranger, qui ont fini par se fondre dans le moule de l'art français en l'enrichissant sans cesse. Disciple d'Hippolyte Taine, il veut une histoire de l'art qui embrasse l'ensemble de ses visées et non des débats de dates et d'attributions. Son étude sur les Primitifs (1905) en est la démonstration, se retrouvant sur la même longueur d'onde qu'Aby Warburg. Passionné par la Renaissance, il a contesté en 1897 l'influence de Botticelli en France, qui aurait étouffé les velléités nationales. Il épouse les thèses de Félibien et des auteurs du XVIIe siècle qui voulaient avancer l'hypothèse que l'art français avait détrôné l'art italien. Et il ne remet pas en cause les lignes majeures de l'évolution en art avancées depuis cette date. Successeur d'Henri Focillon à la direction du musée de Lyon en 1924 et a obtenu la chaire d'histoire de l'art à l'université. Dans ce rôle, il a voulu revalorisé la ville de Lyon et aussi faire du musée un instrument d'éducation populaire. Ce faisant, il a donné à ce musée une impulsion décisive. Rosenthal n'a certainement pas été un grand historien de l'art. Mais il a été un homme assez lucide pour comprendre comment le passé pouvait agir sur le présent en mettant en avant un enchaînement d'oeuvres de vaste portée.
Histoires pragoises suivi de Le Testament, Rainer Maria Rilke, « Signatures », Points, 182 p., 8,40 euro..
Histoires pragoises, Rainer Maria Rilke, « L'imaginaire », Gallimard, 182 p., 7,50 euro.
Tout le monde a tendance d'oublier que Rilke, comme Kafka, est pragois. J'ai même été stupéfié de voir sur les murs du château de Duino, près de Trieste, où il allait souvent se réfugier, une photographie de lui avec cette légende : « poète allemand » ! Les deux textes constituant les « Histoires pragoises », « le Roi Bohusch » et « Frère et soeur » ne laissent pas deviner le poète qu'il va devenir. La première est la plus attachante car le royaume des rêves où se réfugie le pauvre bossu, qui s'invente des amours, impossibles par définition, et possède une capacité rare à l'affabulation, finissant par créer un désordre grave dans la cité de Rodolphe II, exprime toute la ténébreuse et souvent néfaste magie de cette ville. Dommage qu'aucune de des deux éditions n'aient eu l'idée de traduire les toutes premières pièces en proses de Rilke, qui sont souvent placées à l'enseigne du fantastique (« Danses macabres », « Une morte », toutes publiées dans des revues entre 1894 et 1902). Rilke a quitté précipitamment sa ville natale car son père lui avait trouvé un bon poste dans une banque (plus tôt, il le destinait à la carrière des armes et se révéla inapte) ! Il n'y ait jamais revu, et son père a continué à lui parler de cet emploi quand il s'est retrouvé à Paris : il est parti en 1896 pour Munich alors qu'il n'avait que vingt-et-un. Sa brève existence sera celle d'un vagabond de luxe, d'une âme errante, allant de château en palais, d'une duchesse à une princesse. Le Testament est un document intéressant parce qu'il est constitué de fragments autobiographiques. Ce qui est le plus fascinant dans ces textes épars, c'est la façon dont il a effectué les transpositions.
Le Bal au Kremlin, Curzio Malaparte, traduit de l'italien par Nino Frank, « L'imaginaire », 196 p., 7,50 euro.
De son vrai nom Kurt-Erich Suckert, Curzio Malaparte (1898-1957) est auteur qui ne peut laisser indifférent. la Peau est un des chefs-d'oeuvre de la littérature du XXe siècle et Kaputt est aussi un très grand livre. Mais des oeuvres plus mineurs comme Bienheureux Italiens et Maudits Toscans sont de véritables perles. Le Bal au kremlin n'a jamais été terminé. Je m'étonne d'ailleurs de l'édition française car mon édition italienne, publiée l'année de sa mort, est beaucoup plus importante. On ne peut donc juger ce livre que comme un brouillon dont certaines parties ont été rédigées avec soin, d'autres semblant encore à développer. Il faut dire que l'édition française date de 1985 et qu'elle n'a donc pas pu tenir compte d'une édition plus complète publiée en Italie. Je m'en tiendrai à la seule nouvelle qui a donné son titre à l'ouvrage. C'est une magnifique fantasmagorie où l'auteur représente la nomentaklura soviétique qui s'est formée : elle est perçue comme une aristocratie d'un genre nouveau. Le héros de son aventure rencontre toutes les figures emblématiques du début du stalinisme sans une sorte de chassé-croisé halluciné, qui révèle ce qu'il pense être la véritable visée de la société soviétique.
Comment la terre d'Israël fut inventée, Shlomo Sand, traduit de l'hébreu par Michel Bilis, Flammarion, 368 p., 22,50 euro.
Les thèses de Shlomo Sand ne doivent pas faire plaisir aux sionistes ni aux orthodoxes juifs. Je tiens à parler de cette étude, même avec un retard certain, parce qu'elle nous éclaire sur tous les mythes qui sous-tendent la création d'Israël. Le problème fondamental pour les créateurs de ce pays a été de trouvé une légitimité. L'histoire n'en fournit guère et la Bible non plus sauf dans tout ce qui concerne Josué. Le démontage très élaboré qu'accomplit l'auteur de ces légendes est précieux car il nous conduit à mieux comprendre ce que signifie être juif. Déjà dans Comme le peuple d'Israël fut inventé, il avait démonté l'histoire de la diaspora dispersée par le bon vouloir des Romains. Or seuls Jérusalem fut détruite et ses habitants expulsés (bon nombre sont restés néanmoins dans la région). La diaspora est un autre phénomène, qu'il explique par le prosélytisme d'alors (tout l'inverse d'aujourd'hui). Ce qui est sûr, c'est que les archéologues vont de déception en déception et l'histoire biblique est toujours sujette à caution. Il explique une chose essentielle : Dieu a fait ses révélations hors d'Israël (par exemple les tables de la Loi). Et il personne dans les textes sacrés ne parle de « patrie ». Ce n'est pas en quelques lignes que je peux résumer l'argumentation savante de Shlomo Sans. Mais je conseille à tous ceux qui s'intéressent à la question de le lire avec soin. Et ses raisonnements ne signifie en aucun cas qu'Israël n'aie aucune légitimité : elle est autre. Ce sont les persécutions, les pogromes, la Shoah, qui la donnent ainsi que la déclaration de Lord Balfour en 1917, ministre des Affaires étrangères de sa gracieuse majesté.
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