Cela se passe en ce moment au Musée des Beaux-Arts de Caen et c'est le titre d'un entretien de l'artiste avec Diane Watteau, à la fois artiste et critique d'art. Le Musée de Caen a mis à la disposition de Dominique De Beir de vastes espaces qui permettent la présentation de multiples formats et d'objets en trois dimensions (elle n'est pas sculpteur mais tient à rester peintre). Pour dire vite les choses, en 1994 son père a perdu la vue et elle a entrepris d'apprendre l'alphabet Braille. Pour transférer cet alphabet dans son oeuvre elle a cherché les moyens de faire des trous ou des saillies. « C'est là que je me suis mise à piqueter et trouer des feuilles de papier avec des outils que je créais moi-même, c'était une sorte de langue codée, un écho aux premières écritures, aux hiéroglyphes, aux écritures dessinées... Des écritures qui ne convoquent que les yeux (...) Quand je troue, je retire de la matière ou la retourne. Ces opérations me font toujours penser au texte de Marguerite Duras. Dans Le Ravissement de Lol V. Stein, lorsque Lol voit son amant danser avec une autre, tout s'effondre, c'est un trou parce qu'elle n'arrive pas à nommer ce choc. Plus tard dans la conversation, elle s'entend dire : « Tu as besoin de donner un titre un nom. Pourtant tes oeuvres pourraient être des Sans Titre » Elle réplique que ce sont à chaque fois les mots qui la ramènent à son sujet, qui creusent davantage le même sillon en profondeur. Et quand Diane Watteau lui demande de qui elle se sent proche, elle répond sans hésiter qu'elle a rencontré Pierre Buraglio aux Beaux-Arts de Paris en 1990. Une rencontre vraiment exceptionnelle.
Nous tournons les yeux vers l'ensemble de l'exposition, et nous pouvons nous arrêter à un exemple de la série Altérations, Coins 2016. Peinture, impacts sur polystyrène et nous reporter à un texte de Jean-Michel Le Lannou l'année précédente. Face aux Altérations, de quoi avons-nous besoin ? « De quoi précisément avons-nous le plaisir la regardant ? En son principe, l'émotion est ici celle, générale, de la peinture, du purement pictural, celle donc de la pleine affirmation du visible. Nous éprouvons ce visible pur, délivré de la représentation et de la figuration, de tout psychologique (...) L'émotion picturale ne provient que de l'oeuvre. Quel plaisir particulier nous fait-elle ? Les perforations et les altérations nous offrent leurs surfaces délivrées de la platitude du lisse. Notre regard est ensemble posé sur leurs reliefs et profondeurs, mais encore il entre en elles. Chaque oeuvre se donne en une plus grande sensualité. »
Revenons à Diane Watteau dialoguant avec Dominique De Beir : « J'ai l'impression que tout ton travail est innervé par la question de la disparition. » Réponse : « Je ne pense pas à la disparition quand je travaille, mais plutôt à la révélation. Montrer un fragment, une ruine, est évocateur du reste qui n'est pas là et qui ne demande qu'à apparaître. Je ne cherche jamais à fermer ou à achever les choses. Je laisse la chose en devenir. Montrer un fragment me semble plus vivant que de montrer la totalité. « la ruine, c'est l'objet plus la mémoire de l'objet » (Gérard Wajcman). C'est peut-être une ouverture pour l'autre d'ailleurs. » L'oeuvre de Dominique De Beir est hermétique, sans doute, mais elle retient le spectateur et elle trouve dans les beaux espaces du musée de Caen l'occasion de s'épanouir. Noter en particulier l'immense pièce conçue pour l'atrium : « Sans début mais pas sans fin. » Il faut aller voir.
8 avril au 8 octobre, musée des Beaux-Arts de Caen.
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