L'académie des Beaux-Arts a rendu hommage à Velickovic, qu'elle avait élu en son sein, par une exposition estivale qui se limitait à quelques oeuvres importantes de la dernière période, la série Grünewald en particulier. La galerie Trigano poursuit cet hommage (16 septembre-4 novembre) avec des chefs d'oeuvre de la jeunesse, en particulier Fin n° 1, 1968. Extraordinaire tableau que j'avais moi-même accroché au seuil de la rétrospective du peintre à la Fondation Leclerc il y a quatre ans. Déjà, en 1976, dans le livre Velickovic publié par Pierre Belfond, j'observais que nous avions devant nous des éléments complets, non une fragmentation de l'espace pictural : nulle attaque destructrice de la peinture dans ce grouillement insensé, pas plus que du moi, dispersant à la manière du Picasso de la période cubiste, des fragments dans le plan du tableau, quitte à les intégrer ensuite et à retrouver une cohérence profonde dans un deuxième temps.
Il y a des rats à la base de la composition, et au dessus, dans un inextricable mélange, y a-t-il de l'homme ? En tout cas jamais de regards, et si parfois des yeux sont figurés, ce sont les yeux morts des poissons, comme chez les jeunes hitlériens décrits par Odon de Horvatch « aux yeux de poisson » précurseurs d'un nouveau tragique : celui de l'absence de l'homme. L'ancien chant tragique, celui qui célébrait comme Musset, la mort « si belle lors », celui de Chateaubriand, Wagner ou Thomas Mann, a été anéanti depuis que la mort été industrialisée et salie. Velickovic, qui encore enfant a vécu l'apocalypse nazie, sait que lorsque des millions d'hommes sont abattus dans le dos ou grillés dans les crématoires, leur ultime dignité - qui est aussi la nôtre - a disparu : leur mort. On ne peut plus se célébrer ou se maudire comme autrefois : cette peinture désespérée en prend acte.
Velickovic, dès ses toiles de jeunesse, nous fait voir le mouvement ontologique de déchéance et de fuite, le voici illustré dans son paroxysme. L'homme tente de s'échapper, comme les rats ou les chiens (l'artiste les nomme « autoportraits »), mais leur élan n'aboutit jamais, l'envol s'englue ou explose, les voici « faits » : faits comme des rats (qui figurent encore l'homme). Leur fuite ne les conduit guère qu'à l'agonie des laboratoires ou des salles de torture, cloués en offrandes expiatoires à la société technique. La souffrance de l'homme qui court et celles des rats et des chiens ne s'expliquent par aucun rachat. Déjà, dans sa jeunesse, Vladimir Velickovic était un grand peintre tragique.
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