Roberto Mercadini n'est pas très connu en France, sauf par les youtubeurs comprenant l'italien. Or voici que les éditions Les Belles Lettres viennent de faire traduire (par Lucien d'Azay), avec l'aide du ministère de la culture italien son livre « Le génie et les ténèbres, Léonard de Vinci et Michel-Ange ». On va donc pouvoir savourer les propos de cet inépuisable conférencier barbu, grassouillet et plein de verve. Je ne vais pas rendre compte d'un livre de 348 pages où il est question de bien plus que les deux principaux personnages d'une scène foisonnante, celle de l'art en Italie à la Renaissance. Prenons l'exemple du premier chapitre, « L'art d'être presque normal » destiné à accrocher le lecteur. On était en effet à une époque où n'importe qui pouvait aspirer au titre de Saint Père, à condition de provenir d'une famille riche et puissante. Pas besoin d'être ecclésiastique : jusqu'en 1513, année de l'élection de Léon X, on pouvait devenir pape sans être prêtre et poursuivre une vie mondaine. D'où le grand nombre de fils de pape. Voilà pour la mise en ambiance.
Apparaît d'emblée Filippo Lippi, « fils illégitime du boucher florentin Tommaso et d'Antonia di ser Bindo Sernigi, morte en couches ». Le père meurt à son tour deux ans plus tard et l'enfant est confié à une tante, Monna Lapaccia, qui le place dès qu'il a huit ans chez les frères Carmes. Filippo devient donc frère carme à 15 ans. Filippo a dix huit ans lorsque deux peintres, Masolino et Masaccio, entreprennent de décorer l'église du couvent des Carmes : la chapelle Brancacci : un immortel chef d'oeuvre, surtout grâce à Masaccio, que Filippo admire passionnément. Masolino, un mondain, accepte un poste à la cour de Hongrie et disparaît. Masaccio meurt mystérieusement à l'âge de 27 ans et Filippo est enlevé par les barbaresques d'Algérie. Là, Filippo prend un morceau de charbon éteint et dessine sur un mur nu un portrait du maître stupéfiant de vérité. Le maître, impressionné, lui rend la liberté au bout de dix huit mois de détention.
Plus tard, Filippo ayant atteint cinquante ans, reçoit une commande du monastère de Santa Margherita à Prato, pour peindre un tableau sur le thème de La Vierge de la Sainte Ceinture. Il faut un modèle pour sainte Margherita qui doit figurer sur le tableau, posant la main sur la tête de la commanditaire, soeur Bartolomea dei Bovachiesi. Lippi choisit une religieuse du monastère, Lucrezia del Buti. Elle a 22 ans, elle est belle et malheureuse. Ils tombent amoureux l'un de l'autre et décident de fuir ensemble. Ils auront un fils, Filippino Lippi, qui deviendra un artiste réputé, à qui les Brancacci confieront l'achèvement de la chapelle qui porte leur nom. Ainsi, le fils d'un frère carme et d'une nonne fera une grande carrière, ce qui semble une belle histoire à Roberto Mercadini. « Toutes mes histoires, je vous les raconte, moi, avec un mélange de plaisir et d'émotion, comme pour illustrer un monde si surprenant qu'on se demande s'il est vrai. Une certaine emphase me vient naturellement. »
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