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[verso-hebdo]
28-09-2023
La chronique
de Gérard-Georges Lemaire
Chronique d'un bibliomane mélancolique

Gertrude Stein & Pablo Picasso, l’invention du langage, Cécile Debray & Assia Quesnel, Carnet d’exposition, « Découvertes », 64 p., Editions Gallimard, 9, 90 euro.
Catalogue, RMN- Grand Palais, 40 euro.


Une exposition très enrichissante et pleine de surprises qui est présentée au musée du Luxembourg a pour objet de mettre en scène la relation qui s’est instaurée entre Pablo Picasso et une riche Américaine, Gertrude Stein, née à Allegheny en Pennsylvanie en 1874, à partir de 1905 Son père était un homme d’affaires très aisé. Elle a fait ses études dans une sérieuse école juive à Oakland, puis les a achevées au Radcliffe College où elle est devenue une élève privilégiée de William James. Ce dernier l’a encouragée à faire des études de médecine, ce qu’elle a fait pendant quatre ans. C’est alors qu’elle a écrit Things as they are (1903- mais publié seulement en 1950 sous le titre Q. E. D.)). Enfin, elle s’est installée avec son jeune frère Leo à Paris en 1903. Ils se sont mis à collectionner des œuvres d’art et beaucoup appartenant à l’avant-garde qui se faisait jour en France. Cette même année, elle achève un livre finalement intitulé QED., qui faisait état de relations lesbiennes.
En 1905, elle a mis la dernière main à Three Lives (Trois vies). Ils ont acheté ensemble des Cézanne, des Gauguin, des Renoir au milieu de Delacroix et de Daumier. C’est Leo qui, le premier, fait apparaître les premières toiles de Pablo Picasso, qui a commencé à se faire connaître, mais qui n’est pas encore le second monstre sacré qu’il n’allait pas tarder à devenir. Leur collection prend de l’ampleur et est une source de questionnement et de ravissement de la vie parisiennes des amateurs d’art avertis. Bientôt, Gertrude va inviter ses amis et ses connaissances et va tenir salon pour ces curieux de cette modernité fracassante de découvrir ces tableaux si déconcertants et aussi ceux qui les ont peints ! Henri Matisse va aussi prendre sa place dans ce panthéon de la modernité, tout comme Mangin, Toulouse-Lautrec et Pierre Bonnard. Bientôt toute la fratrie prend part à cet engouement pour les arts plastiques : leur frère aîné Michael, et puis leur belle-sœur Sally. En 1914, une brouille sérieuse est intervenue entre eux (il est possible que le fait que Gertrude Stein ait commencé à partager sa vie avec Alice B. Toklas à partir de 1907 ait joué un certain rôle, mais ce n’est pas le seul facteur de discorde) et ils se sont divisés la collection, Leo prenant la plupart des Matisse, beaucoup de Cézanne, quelques rares pièces de Picasso, les Renoir et, Gertrude, elle, s’accrochant à Picasso qui est désormais une célébrité reconnue, même si son aura était encore sulfureuse !
Mais, pour elle, c’était dorénavant un complice et un inspirateur. Leo lui avait demandé de faire le portrait de sa sœur. Celui-ci l’a soumise à un nombre incalculable de séances de pose (on ignore si c’était nécessaire pour son travail ou si c’était un stratagème pour être omniprésent dansa demeure et surtout dans sa pensée. On a pu d’ailleurs vite le constater : elle s’est mise à écrire des livres de fiction de caractère cubiste C’est le cas dans textes composant Gertrude Matisse and Picasso, parus dans la revue d’Alfred Stieglitz, Camera Work, en 1912.
Quoi qu’il en soit, Gertrude a joué un rôle majeur dans la reconnaissance de Picasso avant la Grande Guerre. En tout cas, ils sont restés très amis, et elle sera toujours l’une de ses plus grandes admiratrices. En 1930, elle a publié un livre simplement titré Picasso, qui a obtenu un succès non négligeable. Si ses ouvrages expérimentaux ne font guère recette, elle a été capable de séduire un public assez large avec ses écrits autobiographiques et ce petit livre qui demeure simple d’accès. Ce vadémécum a su frapper les esprits.
Quant à Picasso, il n’a jamais perdu de vue la dimension stratégique de sa relation avec sa mécène, d’autant plus que de plus en plus d’Américains fréquentaient son salon et donc pouvaient voir ses œuvres. Il a toujours su l’importance des écrivains qui ont écrit sur son œuvre, celle des marchands et celle des collectionneurs. Il savait très bien jouer avec tout ce petit monde qui le servait !
Gertrude Stein a toujours eu la volonté de le défendre et de le faire connaître, d’accroître sa collection et d’écrire sur lui d’une façon ou d’une autre. Elle s’est retrouvée à l’égal de Max Jacob, Guillaume Apollinaire, Jean Cocteau, Louis Aragon (qui l’a sauvé des attaques virulentes des tenants du réalisme socialiste) peu après la Libération). Malgré les difficultés indéniables de sa prose expérimentale, Gertrude Stein a été une merveilleuse propagandiste pour l’artiste et l’est demeurée sans faille jusqu’en 1946, date de sa mort. Et puis elle a tout de même influencé les cercles avancés aux Etats-Unis : on étudie ses écrits au Black Montain College à partir de 1933.
Les auteurs ont tenu à mettre l’accent sur cette gloire posthume, qui ne l’a pas rendu populaire, mais en a fait une figure mythique du XXe siècle en Amérique. Le portrait qu’en a fait Andy Warhol en est l’expression la plus connue. Et puis on est heureux de découvrir ce qu’a été le sens des recherches de Picasso avant a Grande Guerre, avec ses petites sculptures-assemblages et ses toiles au fond blanc avec des têtes ou des bustes délimités par un trait noir qui fait songer à du dessin transposer dans le champ de la peinture. C’est passionnant de bout en bout et ce petit carnet est tout à fait à la hauteur pour introduire le visiteur à cette amitié qui a marqué de son empreinte l’histoire de l’art moderne.




Nous, les Caserta, Aurora Venturini, traduit de l’espagnol (Argentine) par Anne Plantagenet, « Pavillons », Robert Laffont, 238 p., 19 euro.

Voici un roman des plus singuliers écrits par un écrivain argentin, Aurora Venturini (La Plata 1921-2015), qui a vécu à Paris pendant vingt-cinq ans. Elle a été traductrice, essayiste, et a produit près de trente œuvres de fiction. Nous, les Caserta raconte la vie d’une femme, Chela, depuis sa tendre enfance jusqu’à sa maturité. Mais sa manière de consigner les faits est à mi-chemin entre l’onirisme et la psychopathologie. Son univers est toujours aux marges de l’effroi ou de l’indicible.
Son enfance est décrite comme un cauchemar où elle est considérée comme une sorte de monstre. En réalité elle est surdouée et ce qui devrait passer pour un don est regardé comme une malédiction. Tout son univers est quelque chose qui pourrait se situer entre Jérôme Bosch et Francisco Goya. Mais, malgré cette tournure fantasmagorique du récit, on se laisse prendre au jeu car on parvient à suivre une trame ébouriffée qui révèle la vérité de ces années plutôt tourmentées. Ainsi, le fil de son existence se déroule dans ce chaos qui n’est qu’une sorte de plongée dans un des cercles dantesques (ou même dans plusieurs à la fois). Et, puis elle voyage. Elle se rend par exemple à Paris. Cette partie de sa biographie est moins hallucinée. Les chapitres sont plus courts.
En somme, l’histoire de Chela s’épure et revient sur notre terre. En dépit de la bizarrerie de cette histoire, on se laisse prendre à son récit et on ne peut que trouver du plaisir à suivre l’héroïne dans ses menées qui donne l’impression d’un emprisonnement au sein d’une folie où l’autoflagellation est de règle. A la fin, elle sort de ces territoires mal famés et douloureux. Tout procède ici par spirales qui, peu à peu, la fait remonter à la surface de la conscience. C’est un roman curieux, certes, mais qui possède un véritable pouvoir.




Alice à travers le miroir, Lewis Carroll, traduit de l’anglais par Elen Riot, postface de Jasia Reichardt, Editions MeMo, 148 p., 26 euro.

C’est en 1871 qu’a paru le second volume des œuvres de Lewis Carroll Alice Thought the Looking-Glass, illustré par John Tenniel (1820-1914), comme le premier (Alice au pays des merveilles paru en 1865). Cet artiste s’est forgé une réputation très solide comme dessinateur dans la revue humoristique Punch très prisée en Angleterre à la fin du XIXe siècle. Depuis lors, d’autres artistes ont mis en images l’histoire fantasque imaginée par le grand logicien, tels Beatrix Potter, Arthur Rakham, Gabrielle Gomez, mais aussi Max Ernst et René Magritte. Ils sont tellement nombreux qu’on en saurait tous les citer !
Cette édition a été demandée à Franciszka Themerson en 1946 par l’éditeur George G. Harrap. Mais les choses ne sont pas très simple et cet éditeur londonien décide de retarder la publication. Franciszka a alors corrigé tous les croquis qu’elle avait fait. Le livre n’a jamais paru ! Mais, fort heureusement l’artiste est parvenue à récupérer ses œuvres en 1969. Il ne reste de son travail graphique que les 40 Drawings for Friends qu’elle avait fait paraître pendant la guerre. Jasia Reichardt relate à merveille ces mésaventures éditoriales dans sa postface. L’esprit de Franciszka Themerson va au-delà de ce qu’a pu réaliser Tenniel, accentuant beaucoup l’aspect fantasmagorique, mais aussi l’âge de l’héroïne du livre qui est une enfant rencontrant différents personnages qui eux, sont traduits de façon imaginaire sous les crayons de l’artiste. C’est d’une grande originalité et très divertissant, en restant très fidèle à ce qu’a écrit Lewis Carroll.
Voici une découverte à faire sans attendre.




Hans Holbein, maniérisme, anamorphose, parallaxe, postmodernité, etc., Michel Thévoz, « Studiolo», L’Atelier contemporain, 190 p., 7, 50 euro.

Hans Holbein le Jeune (vers 1497-1543) est né à Augsbourg, capitale du Saint Empire Romain Germanique. Il est célèbre pour grand tableaux présentant d’étranges et saisissantes anamorphoses au premier plan qui s’intitule Les Ambassadeurs, achevé en 1533, qui présente de curieuses anamorphoses, mais on néglige ou ignore le reste de son œuvre à part quelques portraits d’hommes célèbres comme Erasme de Rotterdam ou Thomas More avec lesquels il a des relations amicales. Mais, si nous faisons exception de ces quelques œuvres mémorables, nous ne connaissons pas vraiment la nature de sa recherche picturale et de ses fruits.
L’auteur nous rappelle qu’il a exécuté de grandes décorations extérieures comme celles qui ont orné la façade de l’immeuble Haus zum Tanz, dont on ne connaît plus, hélas, que des dessins préparatoires, révélant son savoir-faire avec ses jeux de perspectives et ses trompe-l’œil, la salle du Grand Conseil(disparue), ou encore ses portraits de la Vierge Marie, comme La Vierge de Darmstadt. Sa production de toiles religieuses est assez prodigieuse. C’est un travailleur talentueux et acharné qui connaît un grand succès. Il a aussi exécuté de nombreux portraits de notables de cette ville prospère. Mais, en 1526, il décide de fuir la Réforme et de s’embarquer pour Londres.
Il rentre deux ans plus tard et s’achète une maison. Toutefois le climat d’intolérance institué par le protestantisme ne sert pas ses intérêts, et il repart en Angleterre. Mais là, sa clientèle change sensiblement : ce sont plus les négociants que les humanistes qui font appel à lui pour faire leurs portraits. Cependant, en 1536, il est nommé peintre-valet de chambre du roi Henri VIII. C’est désormais l’artiste le plus important de ce pays et rien ne peut troubler sa gloire. Il meurt de maladie en 1543. Michel Thëvoz est parvenu à restituer cette figure remarquable de l’art du XVIe siècle.




Claude Cahun, préface de François Leperlier, Photo Poche, 13, 90 euro.

Claude Cahun (1894-1955) n’a été reconnue comme l’une des grandes photographes françaises qu’assez récemment. Aujourd’hui elle jouit d’une gloire posthume à l’échelle internationale. Elle a pourtant fréquenté des cercles de lettrés et d’artistes, tels que Henri Michaux, Georges Bataille, Paul Eluard, Tristan Tzara, René Crevel, André Breton (elle a d’ailleurs fait le portrait de certains d’entre eux). Mais cela ne lui pas permis de se retrouver au-devant de la scène. Bien sûr, sa démarche a pu sembler curieuse et même déroutante en son temps.
La première partie de l’ouvrage montre un grand nombre d’autoportraits, où elle se montre souvent le crâne rasé. Ce n’est pas commun et même insolite. A la fin des années vingt et pendant les années trente, elle a travaillé dans un esprit surréaliste. Elle a privilégié les assemblages et a transformé des plages zen des lieux d’étranges cérémoniels archaïques. Elle a aussi illustré Le Cœur de Pic d’Eluard. Elle a réalisé des natures mortes pour le moins-surprenantes et aussi construit des pantins recouverts de papier journal. Son univers est toujours placé à l’enseigne du bizarre et de l’onirique. Mais elle sans cesse été capable de se renouveler. Cet album permet de partir à la découverte de cette femme fantasque et riche d’inventions.




Bonnard, Giacometti, P. Jean-François Billeter, Allia, 80 p., 7 euro.

L’auteur a choisi d’être le sujet et le narrateur de ce court texte. Pourquoi pas ? Nous le trouvons en Arles et se rappelle avoir, encore adolescent, dessiné à la manière de Bonnard. Il voulait saisir le moment de l’émergence des choses avant leur rapide dissolution. Puis il évoque la figure d’Alberto Giacometti. Il souligne que lorsqu’il a fait un voyage en Italie avec son père, il a surtout été frappé par l’art égyptien. Lors d’un voyage suivant à Paestum, il rencontre un Hollandais d’un certain âge qui lui propose de faire un périple en Italie en sa compagnie. Mais Giacometti est témoin de sa morte subite et en reste très impressionné toute sa vie. Il relate alors les métamorphoses de la technique du sculpteur qui est passé du cubisme au surréalisme, puis est revenu à la représentation de la réalité. Il raconte la vision qu’il a eue après la guerre, quand il était allé au cinéma Actualités à Montparnasse.
En sortant, il a eu une vision extraordinaire qui a déterminé sa démarche intérieure. Il achève son petit ouvrage par des réflexions sur la Genèse et sur le monothéisme, qui ne sont pas sottes, mais plutôt banales. Ce mélange d’autobiographie et de considérations sur les recherches de ces deux grands artistes demeurent à mon sens problématique, même si elles ne sont pas dépourvues d’intérêt.




Felicidad, Frédéric Berthet, « La Petite Vermillion », La Table Ronde, 172 p., 7, 50 euro.

J’ai connu Frédéric Berthet (1954-2003) quand il travaillait pour une maison d’édition où je devais publier un livre. Il semblait toujours papillonner. Mais, en réalité, il s’était mis à écrire des nouvelles (et, plus tard, il a achevé un roman, Damier s’en va. Puis il a disparu prématurément. Ce recueil de nouvelles ne manque pas de qualités. Ce sont des épisodes où le narrateur fait un grand tour à Paris en taxi dans un certain désordre géographique. Dans la nouvelle suivante, un écrivain décide de s’installer à la campagne pour être à l’abri des tentations et des embarras de la grande ville, mais échoue à écrire quoi que ce soit de convaincant.
Dans le récit suivant, un écrivain, qui s’est fait connaître avec un livre baptisé Zoom, est assailli par de très jeunes admiratrices et a une aventure avec l’une d’elles, qui est mineure. Dans Felicidad, qui a donné son titre à ce recueil, le narrateur résume son histoire d’amour avec une jeune femme portant ce prénom. Elle a été insaisissable et revendiquait sa pleine liberté. Il fait d’elle un portrait détaillé et nous confie chacune de leurs retrouvailles. En somme, c’est un ouvrage qu’on peut lire avec délice. Frédéric Berthet ne cherchait pas la pureté ou la perfection formelle, mais l’intensité de l’intrigue choisie. Dommage que son existence ait été brisée si vite.
Gérard-Georges Lemaire
28-09-2023
 

Verso n°136

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du 6 au 28 Octobre 2012
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Christophe Cartier / Gisèle Didi
D'une main peindre...
Préface de Jean-Pierre Maurel


Christophe Cartier

"Rêves, ou c'est la mort qui vient"
édité aux éditions du manuscrit.com