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[verso-hebdo]
21-09-2023
La chronique
de Gérard-Georges Lemaire
Chronique d'un bibliomane mélancolique

Les Fables, Jean de La Fontaine / Marc Chagall, préface d'Ambre Gauthier, Editions Hazan, 260 p., 60 euro.

C'est en 1926 que le marchand de tableaux Ambroise Vollard a demandé à Marc Chagall d'illustrer les Fables de Jean de La Fontaine (1621-1698). Ces pièces inspirées par les oeuvres d'Esope ont été rédigées entre 1668 et 1694. Elles ont connu aussitôt un grand succès. Mais jamais leur auteur n'a fait partie du cercle des auteurs protégés par Louis XIV. Sans mener une existence marginale (il a été reçu dans les salons les plus huppés de l'époque), il n'a pas reçu la reconnaissance suprême du souverain. Il les a écrites entre 1668 et 1694 et ont été réunies en trois volumes. Elles ont été au nombre de 246. L'entreprise était énorme pour l'artiste ! Vollard a débuté son trav ail d'éditeur dès 199 avec Parallèlement de Verlaine illustré par Pierre Bonnard. Chagall avait déjà fait des eaux-fortes pour son marchand berlinois Paul Cassirer en 1923. Il avait déjà collaboré avec Vollard cette même année en illustrant Les Âmes mortes de Gogol, ouvrage qu'il a terminé en 1927.
Ce sera pour lui le travail presque toute une vie : le livre n'est publié par Teriade pour les éditions Verve en deux volumes qu'en 1952. Il n'était pas rare que Vollard se lance dans une entreprise de longue haleine et ne l'achevait pas. De plus, la mort l'a emporté en 1939. Il a réalisé à partir de cette date cent gouaches, dont beaucoup étaient des fables, mais en omettant les plus connues. Il les a exposées en 1930 chez Bernheim Jeune en 1930. Il avait pris soin de choisir des paysages de différentes provinces françaises. Mais il s'eest aussi inspiré de contes et de réminiscences de son enfance russe. Ce volume est une pure merveille car il permet de découvrir l'ensemble des oeuvres conçues par Chagall pour ce vaste projet, mais aussi de redécouvrir des fables oubliées. On a ainsi l'occasion de redécouvrir l'écrivain et de plonger plus profondément dans l'imaginaire de l'artiste.




Rêve d'Egypte, sous la direction de Bénédicte Garnier, Editions in fine / musée Rodin, 192 p., 35 euro.

Il existe sur Auguste Rodin une littérature énorme. Sans doute est-il le sculpteur français sur lequel on a le plus écrit ! Ce catalogue met en lumière ses relations avec qui est l'art égyptien, qui sont loin d'être négligeables. De surcroît, les différents auteurs ont traité de la situation des recherches archéologique de son époque, mais aussi de l'influence sur les arts (par exemple, Thaïs de Jules Massenet) Rodin était un ogre (je parle de son appétit et de sa curiosité esthétique : il faisait feu de tout bois pour sa création). De la sorte, nous pouvons voyager dans un champ culturel qui avait débuté par l'expédition de Bonaparte, puis avec le style Empire et enfin par toutes les découvertes faites en terre égyptienne (sans oublier le déchiffrage des hiéroglyphes réalisé par Champollion).
L'Egypte est devenue à la mode tout au long du XIXe siècle et puis s'est imposée un objet d'étude de plus en plus important. Rodin n'a pas tiré de l'art pharaonique une source directe d'inspiration, sauf en de rares occasions C'est là un excellent moyen d'approfondir ses connaissances sur cet immense sculpteur en élargissant le champ de ses sources historiques qu'il a su si bien manipuler. Nous découvrons l'éclectisme de Rodin, qui est à l'exact opposé du style français de l'époque. On comprend quel usage il a pu faire de cette statuaire de l'Egypte ancienne. C'est une excellente leçon d'histoire de l'art. On comprend quel usage il a pu faire de cette statuaire de l'Egypte pharaonique. C'est une excellente leçon d'histoire de l'art. Et un instrument excellent pour mieux comprendre les menées savante de cet artiste hors classe.




Chères images, peinture et écriture chez Aillaud, Nicolas Pesquès, L'Atelier contemporain, 192 p., 20 euro.

Gilles Aillaud (1928-2005) est un peintre qui a été assimilé à la Figuration narrative et à la Nouvelle figuration. Il a d'ailleurs accepté cette situation car il ne s'agissait pas de mouvements constitués et structurés, mais de tendances liées à un retour à la représentation. La dimension politique, qui est primordiale, n'a pas été une condition sine qua non. Son oeuvre est placée à l'enseigne de l'étude du champ esthétique qui recherchait néanmoins un monde animal, mais pas en savant, mais plutôt en traduction de la vérité zoologique. Rien dans ses peintures, ses dessins et ses écrits n'avait trait à l'idéologie. Nicolas Pesquès a tenté dans ces pages de rendre hommage à) l'artiste disparu et qui a su s'affirmer dans un contexte où son bestiaire n'aurait pas dû logiquement avoir sa place.
Il considère que l'image est à l'origine de tout, ce qui est un peu étrange car notre réalité mentale n'est pas exclusivement visuelle. Mais on comprend ce qu'il veut dire car son objectif est de défendre la démarche d'Aillaud. L'auteur s'interroge sur ce qui ressort d'un tableau et qui nous propose une image d'un genre spécifique. Il cherche alors à savoir comment les transmettre à autrui dès qu'il s'agit d'écrire à son sujet. Il se demande quels sont les chemins pour traduire ce tableau. Il interroge alors la démarche de Gilles Aillaud, celle du peintre, bien sûr, mais aussi celle de l'écrivain qu'il n'a jamais cessé d'être. Il s'efforce de définir la méthode du peintre : par exemple, il souligne que, souvent, le paysage est vide.
L'auteur traque toutes les subtilités de ce rayonnement de l'animal sous son pinceau et il met en relief les subtilités de sa démarche. Il s'interroge et, ce faisant, il nous interroge car devant cette faune en « en pose », nous ne pouvons que nous interroger même si tout semble conforme à la production d'une sorte de « portrait » pris sur le vif (c'est en tout cas l'impression que cela donne et non la réalité du travail proprement dit). Il s'attache ensuite à nous décrire des cycles ou bien de petites séries pas très connues. En somme, s'il explore cet univers assez vaste, il doit se rendre compte qu'il a devant lui un champ d'investigation restreint qui lui laisse assez peu d'espace pour transmuer en langage écrit qu'il utilise pour le décrypter. Il n'en reste pas moins vrai que ce livre permet de s'approcher au plus près d'une aventure esthétique très singulière qui semble assez simple et qui, en fin de compte, est assez sophistiquée. C'est en tout cas un moyen de valeur pour découvrir ou redécouvrir Gilles Aillaud qui demeure un des acteurs les plus brillants de cette figuration narrative, qui a profondément marqué ce tournant de l'art français pendant le dernier tiers du XXe siècle.




Nicolas de Staël, du trait à la couleur, Anne de Staël, Editions Hazan, 240 p., 29 euro.

De tous les peintres de l'Ecole de Paris lors de l'après-guerre, Nicolas de Staël (1914-1955), né à Saint-Pétersbourg sous le nom de baron Nikolai Vladimirovitch Staël von Holstein, devant fuir la Russie à cause de la révolution d'Octobre, il est sans doute l'un des plus prisés. Il a connu un très grand succès aux Etats-Unis, qui n'a fait que se confirmer après son suicide survenu le 16 mars 1955 (il s'est jeté du haut d'un escalier dans son atelier à Antibes). L'objectif déclaré de sa fille a été de montrer de quelle façon s'est développée l'oeuvre de son père, qui est, par la force des choses et l'usure du temps, réduire à quelques formules formelles, qui avaient particulièrement frappé à l'époque, en oubliant tout le reste. Elle a surtout tenu à réintégrer le dessin dans ce processus créatif. Ce n'est pas seulement utile sur le plan de l'histoire personnelle de l'artiste, mais aussi pour comprendre comment certaines compositions ont pu voir le jour après une lente maturation.
Et puis on découvre des ouvrages qui nous sont inconnus et qui surprennent dans le cheminement de ses idées, comme par cette gravure intitulée J'habite une douleur, qui rappelle le Carré noir sur fond blanc de Malevitch (on ne sait d'ailleurs pas si les toiles suprématistes étaient connues en France à l'époque). En la lisant et en découvrant les tableaux et les oeuvres graphiques qu'elle a sélectionnés pour nous faire comprendre le parcours de son père, beaucoup moins linéaire qu'on le croit, et il est même passé par des phases très différentes, se lançant dans des confrontations chromatiques très accentuées ou encore dans des paysages plutôt géométrisés et assez épurés. C'est à mes yeux une magnifique nouvelle visitation de cette artiste qui avait su toucher le coeur de ceux qui contemplaient ses créations. C'est aussi un instrument très précieux pour voir toutes les facettes de ses recherches plastiques, beaucoup plus diversifiées et changeantes qu'on le penserait. Anne de Staël a fait un travail excellent et l'ouvrage qu'elle a conçu est désormais l'ouvrage de référence incontournable pour étudier de près les efforts de son père pour trouver la traduction de la poésie qui 'habitait.




Dernier voyage, Christian Gailly / Gérard Titus-Carmel, L'Atelier contemporain, 104 p., 15 euro.

C'est Gérard Titus Carmel (né en 1942) qui a eu l'idée de faire publier cette correspondance avec son ami Christian Gailly, qui a été musicien de jazz (saxophoniste)) et qui a ensuite écrit des romans, qui ont reçu des prix dont certains ont parfois été adaptés au cinéma, en particulier par Alain Resnais. Dans une longue préface, l'artiste relate ses rencontres avec son ami écrivain, l'amour qu'il partageaient pour la musique. Ces pages dépeignent avec beaucoup de détails ce qui a pu être leurs rapports, leurs conversations, ce qu'ils pouvaient partager. Titus-Carmel fait un très beau récit de ces rencontres si riches et si intenses. Et puis il y a eu l'échange épistolaire qui a eu lieu à partir de juillet 1993, jusqu'en octobre de la même année, de manière assez brusque. Il est vrai que l'artiste avait été froissé de propos trop abrupts de son correspondant.
Sans doute cet échange épistolaire a-t-il mis en relief des différences et des incompatibilités qui ne faisaient pas jour lors de leurs rencontres. Il est vrai que ce qui est couché par écrit possède un caractère définitif qui est plus rare dans un dialogue. Les deux hommes ne sont plus revus par la suite. La rupture a été nette et définitive. Charles Gailly est décédé cette année et sans doute que l'artiste a eu la forte nostalgie de cet échange qui n'a eu qu'une si courte saison. En tout cas, il rend ici un bel hommage à son interlocuteur privilégié d'autrefois car leurs lettres sont dignes d'être conservées et connues.




Beauté(s), collectif, collection Beautés, L'Atelier contemporain, 146 p., 20 euro.

Cet ouvrage fait songer à un recueil d'actes d'un colloque. Ce n'est pas le cas. Il s'agit d'un ensemble de réflexions sur le thème de la beauté, qui, depuis un certain temps, occupe artistes, historiens et critiques d'art. Il est vrai que les productions relativement récentes de l'art de notre temps sont hostiles à la manifestation de la beauté (cela ne concerne pas tout ce qui est produit, mais prend néanmoins une place importante et pose de graves problèmes quant à l'idée qu'on peut se faire de l'art). Le premier texte est signé par Camille Saint-Jacques, qui est un artiste. Celui prend un point de départ intéressant car sa première référence est The Descent of Man de Charles Darwin, ainsi que son célèbre Origin of Species by menan of Selection ainsi que Selection in relation of sex. L'auteur fait remarquer que le savant anglais a étudié comment pouvait se déclarer l'attirance de la femelle pour le mâle, en faisant des découvertes qui vont à l'encontre de nos idées reçues. Il fait aussi état du célèbre morceau d'Olivier Messian, qui s'inspire de la beauté naturelle. Mais il oublie qu'il y a déjà eu à la Renaissance des tentatives similaires, Le Chant des oiseaux de Clément Janequin a été conçu exactement dans le même esprit, dans l'esprit de la musique de cette époque. Mais, quoi qu'il en soit, ce recueil peut nous donner matière à réflexion.




Les Folles enquêtes de Magritte et de Georgette,Nadine Monfils, « la bête noire », Robert Laffont, 214 p., 14, 90 euro.

L'idée de Nadine Monfils est non seulement divertissante, mais elle est aussi efficace. Assez curieusement. Elle a transformé le peintre René Magritte et son épouse, Georgette, en enquêteurs occasionnels, mais néanmoins expérimentés (elle a d'ailleurs publié déjà un certain nombre de leurs investigations). Dans ce cas précis tout part de la mort accidentelle de la femme du boulanger, malencontreusement renversée par une voiture. Quelques mois passent après ce drame et le veuf découvre au marché aux puces de Bruxelles une vieille boîte pleine de photographies et accompagnées d'un article où il est question de son épouse qui serait morte dans un incendie à Charleroi. Sa stupeur est considérable.
En effet, comment serait-il possible que la même femme meurt deux fois ? Les Magritte décident donc de se rendre à Charleroi pour tâcher de découvrir ce qui s'est vraiment passé. Alors a lieu une enquête plutôt compliquée qui se mêle avec la famille de Georgette qui réside dans cette ville et des citations d'oeuvres du peintre, souvent associée à son enfance et, en tout cas, à son existence. Il rencontre dans un cimetière de Soignies un homme, Léon Huygens, mort à Paris depuis le début du XXe siècle et des personnages qui ont partie liée avec cette affaire de près ou de loin. Ils finissent par rencontrer une vieille dame qui a perdu la mémoire dans un asile, Firmine, qui leur affirme que Violette ne s'était pas pendue dans la grange.
Une autre mort suspecte a lieu : celle de Mouche, une autre vieille dame qui faisait un peu peur à ceux qu'elle croisait sur son chemin. Dans la tête de Magritte, les soupçons se portent alors toujours plus sur la femme, Céline, du-châtelain Fauconier. Mais ce n'était pas la femme de cet homme, mais sa fille ! Tout se met alors en-place et l'affaire est résolue. On s'amuse beaucoup-à lire cette fiction-policière avec ces deux personnages savoureux et leur entourage qui ne l'est pas moins. C'est une réussite dans ce genre si particulier, plein d'humour et de citations de la peinture si intrigante de René Magritte. L'auteur a-su donner un élan nouveau à ce genre littéraire avec beaucoup d'esprit, d'imagination, d'humour irrésistible et de talent indéniable.




Fichot, sous la direction de Solline Dusausoy, musée de la Fondation de Coubertin, 168 p., 25 euro.

Jeran-Michel Fichot est né en 1959 à la Garenne-Colombes. Il a étudié à l'école Duperré à Paris, et y a choisi la section arts graphiques. Puis il passe le concours d'entrée à l'Ecole Nationale Supérieure des Beaux-arts. Il y est admis dans l'atelier de Michel Charpentier. Il découvre alors la technique de la fonte du bronze. Il obtient son diplôme en 1985 et présente sa première exposition personnelle à Paris.
Il trouve très vite l'esprit très singulier de sa sculpture : elle est figurative et joue sur la déformation très accentuée du corps féminin. Bien entendu, son oeuvre connaît une évolution, mais il ne renonce jamais à ses principes de base. Ses femmes changent d'aspect - par exemple, il conçoit des femmes-feuilles, assez différentes des précédentes, mais elles conservent ce qui constitue leur essence : la difformité.
En somme, il s'ingénit à préserver les principes classiques de la sculpture (à commencer par la figuration), mais n'abandonne jamais l'idée de leur donner cette apparence à la limité de de la défiguration, mais sans jamais tomber dans l'abstraction. C'est une entreprise bien curieuse, qui ne laisse pas indifférent et qui est des plus originales. Reste à savoir si elle est à notre goût, car ses choix plastiques sont assez étroits et idiosyncrasiques. Et il ne faut pas manquer de lire l'essai pertinent de Marie-Claude Lambotte.
Gérard-Georges Lemaire
21-09-2023
 

Verso n°136

L'artiste du mois : Marko Velk

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Christophe Cartier au Musée Paul Delouvrier
du 6 au 28 Octobre 2012
Peintures 2007 - 2012
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Christophe Cartier / Gisèle Didi
D'une main peindre...
Préface de Jean-Pierre Maurel


Christophe Cartier

"Rêves, ou c'est la mort qui vient"
édité aux éditions du manuscrit.com