C'est l'une des expositions les plus intéressantes de la rentrée : le Mémorial de Caen, voué à l'Histoire du XXe siècle, a demandé à Jean-Claude Gandur, grand collectionneur basé à Genève, de prêter ses tableaux de la Figuration narrative engagés dans la période 1960-1975 (jusqu'au 8 décembre). Le titre déconcerte : POP CHOC années 1960-1975. Les artistes de la Figuration narrative vivaient et travaillaient en même temps que les Pop anglo-saxons, mais leurs travaux n'avaient rien à voir. Le co-commissaire Yan Schmidt, dans son long texte-préface, prend la précaution de citer le théoricien historique de la Figuration narrative, Gérald Gassiot-Talabot, mais il ne s'explique pas là-dessus. Il voit l'intervention de Rancillac, Télémaque, Arroyo, Erro, Monory, Fromanger et Ivan Messac dans l'actualité de leur temps divisée en thèmes (guerre du Viet Nam, procès des criminels nazis, Franquisme, mai 68, mutations urbaines, société de consommation, tourisme de masse etc.) Il ajoute quelques artistes femmes complètement absentes des manifestations de la Figuration narrative, sans doute pour se conformer aux choix du collectionneur et en oubliant des filles telles que Véronique Bigo, Michèle Katz et Catherine Lopes-Curval par exemple qui, elles, intervenaient activement sur les mêmes champs de bataille.
Les artistes réunis par Gassiot-Talabot dans ses expositions historiques de 1964-1967 avaient en commun certaines préoccupations formelles : « est narrative toute oeuvre plastique qui se réfère à une représentation figurée dans la durée, par son écriture et sa composition, sans qu'il y ait toujours à proprement parler de récit » (Bande dessinée et Figuration narrative, avril 1967.) C'était incontestable, mais comment ne pas voir, dès le départ, qu'il s'agissait avant toute chose d'un combat que l'on peut qualifier de politique, fédérant des créateurs aux styles très différents, et non pas du souci plus ou moins la durée. L'avenir allait le confirmer, et Gassiot-Talabot en prendrait acte dans son dernier texte, en 1996, pour le catalogue de l'exposition Face à l'Histoire du Centre Pompidou. Il y évoquerait notamment fort à propos un texte de Pierre Gaudibert. Ce dernier, chargé de sélectionner des représentants de la figuration dite « critique » en1992, avait fait appel à pas moins de onze peintres de la Figuration narrative, expliquant que « nous sommes en présence d'un courant d'expression qui restreint le champ de la Nouvelle figuration, sans jamais former un groupe, mais un simple regroupement arbitraire de ceux qui voulaient redonner à la peinture une fonction politiquement active... » L'essentiel était dit, et il me paraît important que Gérald l'ait approuvé.
Ajoutons que les meilleurs représentants de la Figuration narrative, présents au Mémorial de Caen, ne sont pas tombés dans le piège du didactisme brechtien. Tous très marqués par la « pensée 68 », en particulier les thèses d'Herbert Marcuse, ils ont compris que le potentiel subversif de leurs oeuvres devait tenir dans leur dimension esthétique plus que dans un discours plus ou moins explicite. « Plus une oeuvre est immédiatement politique, plus elle perd son pouvoir de décentrement et la radicalité, la transcendance de ses objectifs de changement », avait écrit Marcuse. C'était bien ce que pensaient Gassiot-Talabot et ses amis. Leur modèle serait Rimbaud, non Jdanov. C'est ce qui est bien visible au Mémorial de Caen et donc très utile.
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