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[Visuel-News]
15-05-2025
La chronique de Pierre Corcos Le sourire d'Harold Feinstein La chronique de Gérard-Georges Lemaire Chronique d'un bibliomane mélancolique
La chronique de Pierre Corcos |
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Le sourire d'Harold Feinstein |
Un regard souriant sur le monde peut-il le rendre souriant ? Une photographie, intitulée « Autoportrait », montre dans la rue, parmi bien d'autres choses, un miroir dans lequel se reflète un visage riant de barbu... Il s'agit d'Harold Feinstein (1931-2015), photographe américain auquel la Maison de la Photographie Robert Doisneau à Gentilly consacre, jusqu'au 1er juin, une exposition, Harold Feinstein - La roue des merveilles. Les commissaires d'exposition, Yasmine Chemali et François Cheval, ont opéré une sélection (101 tirages) dans une oeuvre photographique abondante. Mais ce choix correspond à ce que l'on connaît le plus de ce photographe, qui apparaît toujours souriant sur ses portraits... Né de parents juifs émigrés et ayant commencé une très longue carrière dès l'âge de 15 ans en empruntant un Rolleiflex à un voisin, Harold Feinstein voulait croire au rêve démocratique américain du melting-pot, du bonheur pour tous. Dès 17 ans, il était membre de la Photo League, association prônant une photographie sociale (elle fut dissoute en 1951). Il croyait qu'une « photographie heureuse » pouvait aider à changer le monde... Il voulait garder l'esprit positif d'Edward Steichen (cf. A Life in Photography - Edward Steichen).
La manière dont par exemple il a rendu compte de la guerre de Corée est assez révélatrice. Il ne la « couvre » pas comme un photographe de guerre habituel, ne réalise pas de dramatiques reportages mais, comme simple GI parmi d'autres, il montre le banal quotidien de ses camarades, sensible à la drôlerie de certaines scènes. Par exemple, dans « La queue pour l'examen physique », les soldats sont montrés tout nus de dos, un sac pour leurs affaires en bandoulière ; et le premier que l'on aperçoit est petit, tout blanc et il a les pieds écartés comme un canard. Dans une autre représentation accolant des photos de soldats à l'entraînement sur des barres parallèles, la variété des postures saisies en contre-jour est réjouissante. On a même l'impression d'une sorte de partition musicale farfelue ! Sur une autre photo, « Queue pour le baraquement », habillés cette fois et pris de profil, les bidasses embarrassés par leur linge de lit le tiennent de différentes façons, voire le mettent sur leur tête... On est ici très loin des visages de soldats (cf. Verso Hebdo du 4-10-2018) photographiés pendant leur pause par Dave Heath (1931-2016), exprimant un besoin de se retirer, de fuir dans leur solitude rêveuse. Et il s'agit de la même guerre de Corée pourtant ! C'est donc l'ordinaire des attentes, des transports, de l'instruction, de l'embarquement, de la promiscuité qu'à sa façon retient Feinstein... Le photojournaliste W. Eugene Smith (1918-1978) disait de lui : «Il est l'un des rares photographes que j'ai connus ou qui m'aient influencé à être capable de révéler sous un angle superbement nouveau, avec autant de force et d'honnêteté, ce qui pour moi relève de l'ordinaire ». Un compliment peut-être surdimensionné, mais il est exact que sa photo d'un laveur de vitres, silhouette sombre à travers la vitre couverte des traînées d'eau savonneuse étalée à la brosse, est aussi inattendue qu'est magistrale cette composition en noirs et blancs, ombres et lumières, à partir d'un sujet banal : un homme fumant une cigarette devant une tasse de café sur laquelle tombent des raies de lumière... Il semble que la photo fut prise à l'époque où Feinstein s'était établi au Jazz Loft, et où il concevait pour les labels Blue Note Records et Signal Records des jaquettes de disques. C'est d'ailleurs pour nous replacer dans cette ambiance musicale qu'au premier étage de l'exposition on peut entendre d'excellents morceaux de jazz de l'époque... Représentant de la New York School of Photography, Harold Feinstein nous montre une Amérique d'après-guerre tirant une bonne partie de sa vitalité de la croissance des Trente Glorieuses. Un emblème de cette exubérance américaine est Coney Island, dans l'État de New York, où il est né. Il en a fait son lieu de prédilection... Cette partie de Brooklyn, pointe la plus à l'ouest de Long Island, a vu se développer, grâce à un front de mer important, de nombreuses activités de loisirs (plage, baraques foraines, parcs d'attraction, énorme concentration de manèges) attirant des millions de visiteurs. Un brassage de populations enjouées qui plaît à notre joyeux photographe. Les différences de classes et d'ethnies, dans l'excitation du Wonder Wheel, du Parachute Jump ou du Cyclone, s'oublient un moment... Moment festif, consensuel et enchanté que, dans la tradition de la « photographie humaniste », Feinstein veut goulûment saisir en petites scènes. Ce faisant, il s'inscrit dans deux dimensions de la photographie : le narratif et l'attention aux autres. Toutes ces photos de visages réjouis, de corps épanouis à Coney Island ont fait une partie de sa célébrité, comme d'ailleurs celles des clubs de jazz de Manhattan (la musique, autre espace d'heureux consensus). On connaît moins Feinstein pour ses contributions à la « street photography », ou encore pour ses oeuvres consacrées aux fleurs, pourtant la matière d'un certain nombre d'albums. En revanche il fut un professeur de photographie de renom aux Etats-Unis, enseignant dans de nombreuses écoles et marquant de son empreinte des générations de photographes. « J'ai la modeste prétention de contribuer à l'élaboration du grand roman musical américain », confiait-il en 2010.
Quinze années plus tard, que de dissonances ! Les sourires ont disparu.
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