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  [Visuel-News]
31-10-2024

La chronique de Pierre Corcos
Photographie et immigration

La chronique de Gérard-Georges Lemaire
Chronique d'un bibliomane solitaire

La chronique
de Gérard-Georges Lemaire
Chronique d'un bibliomane solitaire

Klimt, Philippe Thiébaut, « L'Art plus grand », Editions Hazan, 172 p., 39, 95 euro.

Gustav Klimt (1862-1918) est né à Baumgarten, un modeste village dans les environs de Vienne. Il est le fils d'un orfèvre et ciseleur réputé. Il est entré à la Kunstgewerbeschule de la capitale impériale à l'âge de quatorze ans. Son frère cadet Ernst l'y rejoint l'année suivante. Il y a étudié les métiers d'art jusqu'en 1883. Trois ans plus tard, il est chargé de décorer la cour du Kunsthistorschde Museum de Vienne, puis les plafond du Kurthaus de Karlbaad et enfin, il a exécuté avec son frère le nouveau Burgtheater de la capitale impériale avec des panneaux représentant des théâtres antiques ou modernes.
Puis il a été invité à peindre le plafond du palais Sturany. Il a collaboré avec Hans Makart, le peintre le plus en vogue à l'époque. Toute cette période, il est demeuré fidèle aux principes de la peinture académique, tout en y apportant une touche toujours plus personnelle. Ses qualités sont reconnues et elles lui valent de recevoir une bourse de la part de l'empereur François-Joseph. Son père et peu après son frère Ernst meurent en 1892. Ces événements tragiques le dépriment au point de ne plus travailler pendant six ans. Il fait la connaissance d'Emilie Fögle, qui est demeurée sa maîtresse jusqu'à sa mort bien qu'il ait eu de nombreuses conquêtes (il a eu pas moins de quatorze enfants !) En 1894, on lui a commandé de peindre le grand hall de l'université de Vienne sur le thème de la lumière triomphe des ténèbres.
C'est en 1897 qu'il a été l'un des fondateurs de la Wiener Secession. Un an paraît le premier numéro de Ver Sacrum, la luxueuse revue qui est l'organe de leur groupe. Klimt en a dessiné la figure tutélaire Pallas Athénée. C'est le jeune architecte Josef Olbrich qui a conçu le palais de la Sécession. C'est là qui se sont tenues les premières expositions du groupe. En 1902, il a réalisé la Frise de Beethoven au sein du palais de la Sécession en 1902. Il a déjà affirmé la nouvelle orientation de son art et cette grande oeuvre en est l'expression monumentale. Si son style se rapproche désormais de l'esprit de l'Art Nouveau, il l'imagine d'une manière assez différente de ses pairs en Europe. Les deux voyages qu'il a entrepris en 1903 à Ravenne lui a apporté ce qui a fait son originalité absolue : il a tiré profit de l'esthétique byzantine. Ses compositions non cependant rien d'hiératique. Ses figures sont sinueuses et sensuelle, avec des jeux de couleurs et des motifs décoratifs flamboyants. Ses compositions sont complexes, mais n'en conservent pas moins une pureté linéaire incomparable. Il a exécuté de nombreux portraits comme le Portrait d'Adele Bloch-Bauer (en 1907) où contraste le réalisme du visage et la riche profusion de ses vêtements et tout ce qui l'entoure. Ill s'est ensuite intéressé au paysage, avec la même volonté de restituer ce qu'il a vu.
C'est la même année qu'il a peint Le Baiser où le fond et le costume de l'homme sont d'une quasi abstraction. Par la suite, il s'est intéressé au paysage, transformant ce qu'il a vu en une incroyable métamorphose des champs ou des allées qu'il a choisi de montrer. Il s'est révélé sans doute l'un des créateurs les plus virtuose dans l'art de la peinture et est demeuré sans égal. Ce volume n'est pas conçu comme une simple monographie, mais comme un instrument pour faire découvrir au lecteur les détails les plus révélateurs de sa peinture.




Le Dibbouk, fantôme d'un monde disparu, sous la direction de Pascale Samuel & de Samuel Blumenfeld, Musée d'Art et d'Histoire du Judaïsme, Paris, 240 p., 36 euro.

L'exposition présentée sous ce titre si étrange au MahJ de Paris jusqu'au 26 janvier 2025 est vraiment exceptionnelle. Beaucoup, comme moi, ignoraient ce qu'était un Dibbouk. Il s'agit de l'âme errante d'un mort qui s'empare du corps d'un être vivant. Cette légende aurait vu le jour au XIIIe siècledans le monde séfarade et aurait ensuite, au XVIIIe siècle, diffusée dans toute l'Europe, conquérant l'univers des ashkénases, essentiellement dans un contexte hassidim.
C'est entre 1912 et 1913 que Shalomy. E. Rappoport a organisé une expédition ethnologique entre 1912 et 1913 en Russie et en Ukraine, dans des régions éloignées de la Russie comme la Podolia et la Volhynia en quête des légendes anciennes qui véhiculait la tradition orale. Sous le pseudonyme de Sh. An-sky, il a écrit en yiddish et en russe une pièce en quatre actes en 1917 sur ce thème. Elle a été représentée avec beaucoup de succès en 1920 à Varsovie, puis à Moscou un an plus tard. L'héroïne de ce drame est une jeune fille, Les, dont le père, Sender, rejette régulièrement tous les prétendants et ne demande pas son avis à l'intéressée. Il avait déjà conclu un accord avec une famille de sa connaissance. Mais il n'a pas tenu parole, ayant connu une famille encore plus riche. Alors que s'annonce ces épousailles peu souhaitées, Léa rêve du jeune Hanan et en tombe amoureuse. Le jeune homme s'est lui aussi épris de Léa. Mais, on l'aura compris, leur amour est impossible.
Cette oeuvre a été traduite en hébreu en 1922. Le drame a été représenté dans toute l'Europe (la pièce a été mise en scène par Gaston Baty au théâtre des Champs-Elysées à Paris en 1938) et même aux Etats-Unis. Cette histoire a une triste fin puisque Hanan perd la vie et que Léa est prisonnière d'un Dibbouk, qui n'est autre que l'être qu'elle chérit plus que tout.
Son âme girovague s'empare du corps de Lea : leurs destinées sont liées à jamais. Le dramaturge a transformé la légende initiale, maléfique par essence, en une version bouleversante d'amour pur et éternel, métamorphosant la légende noire du Dibbouk en une idylle tragique, mais qui fait au contraire triompher le sentiment contre la cupidité du père, dont la promesse non tenue est en partie à l'origine de cette possession hors norme. De plus, Hanan désespéré à cause de sa décision, s'est adonné sans réserve à la magie pour devenir très riche et ainsi parvenir à faire fléchir la volonté de ce père intraitable et égoïste. Hanan ayant transgressé les règles cabalistiques les plus impératives est foudroyé. Léa est possédée par l'âme errante de Hanna. On parvient à la libérer de cette dangereuse intrusion, mais elle ne veut pas être séparée de son bien-aimé La promesse non tenue de marier sa fille avec le fils d'un ami proche n'a pu qu'entraîner une conclusion aussi terrible. Les deux amants finalement ne se quittent plus dans l'au-delà.
D'aucuns ont rapproché cette pièce de Romeo et Juliette de William Shakespeare ou encore de la passion unissant Tristan et Yseult. Mais l'analogie n'est pas exacte quand bien même s'il s'agit dans tous les cas d'amours qui ne peut advenir que dans la mort.
Plusieurs films ont été inspirés par ce drame à commencer, en 1937, par le long métrage polonais réalisé par Michal Waszyski en l937.Après-guerre, la pièce a inspiré Andrei Wajda, puis Sidney Lumet et les frères Joel & Ethan Coen (pour ne citer qu'eux) Le thème a également inspiré des musiciens comme Leonard Bernstein (un ballet), des écrivains, comme Isaac Basevis Singer, Romain Gary, des peintres comme Issachar Ber Ryback, Marc Chagall (Le Cimetière), Natan Altmaan, Leonora Carrington, Je ne saurais tous les convoquer ici.
En définitive, le Dibbouk n'a pas cessé de passionné les créateurs et à marquer profondément la culture juive moderne. Le catalogue est une pure merveille pour découvrir ce monde magique.




Métamorphoses, migration, Adonis, nouvelle traduction de l'arabe par Aymen Hacen, Mercure de France, 174 p., 20, 50 euro.

Né en 1930 en Syrie, Adonis (de son vrai nom Ali Ahmed Saïd) est né et a vécu ses jeunes années dans une région agricole. Puis il a passé son baccalauréat en 1949 et a fréquenté des cercles de lettrés. Après avoir fait six mois de prison pour ses activités politiques, il s'est installé au Liban. Là, il a participé à plusieurs revues littéraires, et a commencé à écrire de la poésie. Il a fondé en 1968 la revue Makâkif (Position). Il a traduit en arabe Henri Michaux, Charles Baudelaire, Saint John-Perse.
Son premier recueil a paru en 1954. De nombreux autres ont suivi. Il est considéré en France comme le plus grand poète de langue arabe vivant. Cette traduction nouvelle donne à ses poèmes une tonalité très classique. Je serai bien en mal d'affirmer avec certitude qu'elle est judicieuse, mais, en tout cas, elle donne en français une beauté et une finesse peu commune. Quelque soit le sujet traité, il a été un maître de la métaphore et aussi a fait preuve d'une concision et d'une pureté peu communes. Chaque poème porte en lui un univers intense et complexe alors que son expression est très dépouillée. On pourrait difficilement le classer dans une catégorie précise ou dans un courant défini. Il sait très bien associer-une sorte de classicisme avec des visions presque de caractère surréaliste. Cette-densité et cette richesse le rendent vraiment unique. Et puis il sait-à la perfection exprimer ses sentiments et tisser un récit personnel sans jamais verser dans le sentimentalisme ou l'égotisme. On ne peut qu'admirer son écriture, mais aussi le flamboiement de sa pensée qui se révèle d'une profondeur indubitable. Cette traduction fait de lui un poète français au plein sens du terme. Cependant, son univers possède une dimension plus vaste. On eut donc le regarder comme un auteur digne d'admiration. Il est passé maître-dans cet et art si difficile de joindre la beauté et la méditation, l'élan vital et la sagesse.




Chaos, Alexandre Castant, Maima, 76 p., 10 euro.

Aussi curieux que cela paraisse, l'avant-propos se trouve à la fin de l'ouvrage. L'auteur explique qu'il a décidé en 2005 de rassembler tous les manuscrits qu'il avait écrit au cours des années quatre-vingts et de les mettre en ordre. Il s'agit d'écrits relativement courts, qui adoptent des formes poétiques qui ne sont pas uniformes. Ils n'ont en commun qu'une chose (en dehors de l'atmosphère recherchée par l'écrivain) : une rapidité et une tension au coeurs de son écriture l'expression, des phrases courtes et des formes elliptiques. On est saisi par son besoin pressant de faire passer le lecteur d'une sensation à une autre, d'une idée à une autre. Cela a quelque chose de vertigineux. Pour la plupart, ces textes ne reposent pour ainsi dire pas sur une trame, mais sur une situation mentale spécifique, des impressions profondes, sur des liaisons inattendues et vibrantes.
Le lecteur le suit haletant et est pris par le vertige de ses considérations qui se bousculent. Cela pourrait paraître forcé mais, en réalité, cela suit une logique qui est mues par des réminiscences fortes et des impulsions puissantes. Ainsi, se laisse-t-on prendre au jeu sans difficulté. Le seul véritable fragment narratif est le dernier, « Vultanna », qui déroule un récit sous cette formulation endiablée est né volonté de traduire tout ce qu'il a vécu ou médité, tout ce qui s'est imposé à lui dans son existence de gré ou de force demeure néanmoins fragmentaire et un peu onirique. Mais il ne verse jamais dans l'illisible ou l'absurde. Le pathos n'est pas dans son registre, ni les lamentations. Tout a un sens et un sens qui s'impose à nous sans coup férir. En somme, il a été capable dans ces brèves compositions de mettre son âme à nu, sans jamais aborder des îles aberrantes où la raison n'a plus sa raison d'être et où les épreuves humaines se déclarent sans emphase et pourtant avec une violence cruelle. Voici donc un chaos et d'autres horizons qui s'offrent à nous avec-une conviction capable de nous toucher.
Gérard-Georges Lemaire
31-10-2024
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