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21-11-2024

La chronique de Pierre Corcos
Questions de société

La chronique de Gérard-Georges Lemaire
Chronique d'un bibliomane solitaire

La chronique
de Gérard-Georges Lemaire
Chronique d'un bibliomane solitaire

Journal du coureur, Jean-Claude Hauc, Tinbad, 72 p., 14 euro.

Jean-Claude Hauc a désormais dernière lui une oeuvre substantielle. Elle se divise en deux parties bien définies. En premier lieu, il s'est imposé comme spécialiste de Giacomo Casanova et aussi d'un certain nombre de libertins, mauvais garçons de la fin de l'Ancien Régime dont le marquis de Sade demeure la figure la plus emblématique, qui ont été des libertins dans le sens moderne, et non dans celui du XVIIIe siècle (leur époque), ne faisant pas allusion à une posture philosophique condamnée par l'Eglise, mais d'une posture liée à la débauche et à l'érotisme.
La seconde partie de sa littérature est de nature romanesque. Elle est solidement ancrée dans la première, dans les termes qui sont les nôtre. Ce dernier ouvrage est d'une nature un peu différente, même s l'essentiel est constitué par un journal intime. A ses pensées libidineuses qui divaguent à la vue des deux filles à peine adolescentes d'un vieil ami à qui il va rendre visite se lient des réminiscences, des souvenirs entendus car à propose de la Grande Guerre, et d'autres méditations inspirées par exemple par Gustav Malher. C'est un roman mélancolique, où le libertin impénitent en lui échoue dans son désir sans limite et sans morale car il n'a pas entrepris la conquête de l'une ou de l'autre, même s'il a découvert que la petite Delphine a écrit dans son journal intime qu'elle était attirée par ce visiteur si séduisant. C'est une défaite qui lui remet en mémoire des moments de son passé, qu'ils soient réels ou fantasmés.
Quand on connaît, comme moi, les fictions de Jean-Claude Hauc, on a l'impression d'avoir affaire avec une confession crépusculaire, où n'entre pas en ligne de compte le regret ou le repentir. L'exaltation permanente d'une libido qui ne respecte jamais son objet, qui est par conséquent d'une inflexible ardeur qui est celle d'un chasseur qui n'abandonne jamais devant sa proie, est ici contrebalancée par des souvenirs qui le rendent pensif. Et puis d'autres éléments, en particulier de sa vie familiale, donnent une nouvelle conception de cette spéculation romanesque qui recèle des éléments autobiographiques.
Mais qu'on ne lise pas ses pages comme le dévoilement de l'existence de l'auteur : c'est la chronique de sa vision scabreuse du monde qu'il met en scène et narre sur cette tonalité mélancolique. Le temps est l'ennemi de son héros, comme il est notre ennemi juré à tous. Un ennemi impitoyable. Ici, notre écrivain ne fait pas une contrition, mais sait que ses rêves lubriques luttent contre l'horlogerie céleste. Même si une certaine tristesse se dégage de ce roman, elle n'est pas le moins du moins une conversion. Bien au contraire. Il convient de le lire, avec passion et en ayant conscient qu'il existe en nous, à un degré plus ou moins puissant, cette tentation à l'inflexible fureur libertine.




La scuola delle cose, Associazione Lyceu.

Depuis quatre ans, Gino Di Maggio, créateur et directeur de la célèbre Fondazione Mudima, où sont présentées des expositions de grandes figures du Nouveau Réalisme comme de jeunes créateurs prometteurs, a décidé de lancer une nouvelle revue qu'il a baptisé La scuola delle cose (L'Ecole des choses). Récemment, il a consacré un numéro à Ben Vautier, disparu il y a peu ou à Daniel Spoerri. Précédemment, il a imaginé un numéro spécial dédié à l'artiste toscan Roberto Barni ou encore au futurisme en Sicile. D'un format assez grand, la revue se caractérise par une typographie soignée avec une couverture en noir et rouge. Ce qui est singulier, c'est qu'il a adopté une numérotation avec des caractères arabes pour une série et en caractères romains pour une autre. J'ignore la raison de cette division. Mais on ne peut qu'admirer la qualité de cette publication, qui donne un certain lustre à la culture moderne, qu'elle soit historique ou proche de nous dans le temps.
L'unique obstacle pour nous, Français, est qu'elle est rédigée exclusivement en italien. Mais comment faire autrement, car les textes sont nombreux ou alors sont assez longs. C'est chaque fois une mine d'information précieuse qui nous permet de connaître à fond le sujet ou la personnalité évoquée. Il arrive qu'un numéro contient plusieurs arguments. De ce point de vue, il n'y a pas de règle. Ce qui est indubitable, c'est que La scuola delle cose vient à point nommé à une époque où les grands quotidiens de la péninsule ont considérablement réduit la place de culture (cela a commencé à la fin du siècle dernier avec la disparition de la troisième page, qui était exclusivement consacrée à la littérature, l'art, et toutes formes de création). Elle est désormais indispensable pour mieux connaître ou découvrir ce qui fait l'essence de la création, n'hésitant pas à remonter dans le temps, même lointain, comme par exemple avec Michel-Ange. La liberté en la matière est la valeur primordiale.

... continuum, Adalberto Borioli, présenté par Paolo Bolpagni. La dernière exposition en date d'Adalberto Borioli qui a eu lieu au Sudio Zecchilo (dans l'ancien atelier de Piero Manzoni à Milan) nous a dévoilé ses travaux récents. Sa démarche n'a pas varié : il est toujours en quête d'une abstraction, « pure », c'est-à-dire qui ne repose que sur la combinaison subtile des couleurs. Ces derniers temps, c'est le bleu, ou plutôt les différents bleus qui dominent. Quelques traces d'autres teintes peuvent apparaître de temps à autre, mais elles sont presque imperceptibles.
Quand je parle de pureté, il ne s'agit pas ici d'atteindre une sphère paradisiaque de la peinture. Il est question de ne pas introduire de formes, ni une grammaire plastique comme l'avait fait Kandinsky. Il n'y a chez lui aucun formalisme. Cela pour libérer complètement la sensation et les émotions que peuvent engendrer ces variations et ces déclinaisons chromatiques. Les couleurs engendrent des sentiments qui varient d'une nuance à l'autre. Le tableau, dans son intégralité, est la source de pensées qui sont plus ou moins enfouies en nous. Il peut être regardé comme une plongée dans ce que nous possédons de plus intime et donc de plus secret et sert aussi de mètre étalon de notre façon de vivre l'instant. Son art repose sur le jeu complexe des émotions qui n'ont de laisse de nous envahir et de se modifier selon les circonstances et les relations que chacun d'entre nous entretient avec autrui, avec le climat ou encore avec ce qui l'entoure. En sorte que le tableau change de sens selon cette petite musique que notre coeur et notre esprit, parfois notre inconscient entendent comme la tension intérieure qui se découvre et se modifie indéfiniment.
De plus, l'exposition a permis de découvrir ses nombreuses gravures, qui sont remarquables. Enfin, il a été possible au visiteur de voir une large partie de son travail d'éditeur (il y a quelques auteurs français édités dans leur langue). Il a produit environ cent cinquante ouvrages, tous illustrés par ses soins (ce qui a été le défi de cette entreprise !). Dans une ville où l'abstraction reste dominante, la quête d'Adalberto Borioli demeure l'une des plus singulières et prenantes.




Trasfigurazioni, Massimo Motta, présentation d'Ali Abughanimeh, Fyinpaper editions, Milan.

Diffrazioni su Trasfigurazioni, Amedeo Anelli - Massimo Motta, Fyinpaper editions, Milan.


Massimo Motta, il n'y a pas si longtemps, a tenté de concilier l'usage de la peinture et la photographie. A la faveur de l'exposition présentée en novembre à la Casa della Cultura, il a abandonné la peinture, mais n'a pas renoncé à faire de ses photographies des oeuvres d'art. Ali Abughanimeh souligne dans sa préface que son terrain d'action est la rue. Ce « sujet » est plutôt indifférent : il lui sert seulement de champ d'expérience. Tout y est gris et plongé dans la pénombre et la pluie contribue beaucoup à cette atmosphère grise. Cependant, le rouge s'impose de manière ponctuelle. Surtout avec de larges bandes rouges sur la chaussée, ou encore avec le sac d'une femme au milieu de la rue. Pour parvenir à ses fins, il utilise aussi les reflets sur les flaques d'eau sur le sol. Si bien qu'il joue avec les figures toutes d'un gris qui en dissipe l'identité et en fait des spectres noyés dans la grisaille ambiante. Carmelo Strano parle dans son essai d'« atmosphère-movimento-sommomovimento », ce qui exactement ce qui est l'enjeu de Massimo Motta. Des dispositifs géométriques se détachent de temps à autre dans ces compositions opaques. Ce qui est certain, c'est que le photographe a recherché le moyen d'être un artiste rien qu'avec les moyens de la photographie.

Dans le second volume, Carmelo Strano présente le poète qui a su concilier l'inconciliable, symboles et similitudes s'orientant vers l'allégorie. Dans sa poésie écrite pour Massimo Motta, il commence par écrire : « Le chiffre et le symbole la similitude et l'allégorie / l'inversion du regard dans la lumière et l'ombre / l'oeil de l'esprit et la communication des corps subtiles ... ». Il se réfère aussi à la boîte de Schrödinger et se divertit avec la fable du chat vivant et du chat mort qui cheminent sur la fonction d'onde. Voilà en tout cas une belle interprétation poétique de l'art de Massimo Motta. Et ces vers illuminent les oeuvres qui sont reproduites et qui ne cessent d'intriguer.




Labyrinthos, Ariel Soulé, préface de Martina Corgnati, Galleria Civica d'Arte Moderna, Spoleto.

Ce catalogue déjà un peu ancien est précieux pour comprendre l'évolution de cet artiste argentin venu s'installer à Milan. On y découvre les germes de sa démarche si particulière, qui oscille entre la figuration et l'abstraction sans que l'un l'emporte sur l'autre. Cet équilibre un peu instable génère la spécificité de son art. Il est impossible en effet de découvrir la clef de ce qu'il a voulu représenter sur ses tableaux.
Les « objets » élus semblent flotter dans un liquide amniotique. Ils n'ont d'autre lien apparent qu'une mise en scène cryptique. Ce qui est paradoxal, c'est que l'ensemble trouve toujours sa cohérence formelle. Mais aucune cohérence apparente ne concerne le sujet même de la composition. Et pourtant, rien ne paraît avoir été laissé au hasard. C'est manifestement un jeu acrobatique qui trouve sa vérité dans la confrontation de tant d'éléments divers et, en apparence, étrangers les uns aux autres, et aussi des couleurs, qui sans engendrer des contrastes violents, ne tendent pas à former une harmonie pleine et entière.
Là aussi, l'ambiguïté est de mise. Peut-être que c'est là que s'enracine sa recherche picturale, qui n'est en accord ni avec les peintres modernes (ceux du siècle passé), ni dans quelque courant actuel que ce soit. Il est à noter que le noir tient une place conséquente dans son aventure, sans jamais être dominant. C'est presque toujours le contrepoint des agencements chromatiques qu'il a eu en tête. Il y a quelque chose de miraculeux, mais aussi de mystérieux, dans ces toiles d'assez grande dimension. En dépit de ce caractère étrange qui échappe à la raison, le spectateur n'est pas désarçonné : l'artiste lui intime de percevoir les choses d'une tout autre manière et d'accepter d'entrer dans la configuration dédalique de son exploration plastique. La beauté demeure une valeur bien que toutes les règles de l'art soient subverties.
Gérard-Georges Lemaire
21-11-2024
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