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24-10-2024

La chronique de Pierre Corcos
Joie en scène

La chronique de Gérard-Georges Lemaire
Chronique d'un bibliomane solitaire

La chronique
de Gérard-Georges Lemaire
Chronique d'un bibliomane solitaire

Caillebotte, peindre les hommes, sous la direction de Scot Allan, Gloria Groom & Paul Perrin, Editions Hazan / musée d'Orsay, 256 p., 45 euro.

Cailebotte et les impressionnistes, histoire d'une collection, sous la direction de Paul Perrin, Hazan / musée d'Orsay, 144 p., 35 euro.

Gustave Caillebotte, peindre les hommes, Paul Perrin, « Découvertes », Gallimard / Musée d'Orsay, 11, 50 euro.


Gustave Caillebotte (1848-1894) a longtemps été considéré comme un modeste épigone des impressionnistes. Depuis quelque temps, on a commencé à reconnaître sa valeur et même sa grande valeur au sein d'une aventure picturale qui a fini par conquérir toute l'Europe. Le père de l'artiste meurt fin 1874, peu avant d'avoir soumis au jury du Salon ses célèbres Raboteurs de parquet qui sont refusés. La fortune dont il a hérité lui a permis de connaître les difficultés de la plupart de ses pairs. Ce qui apparaît dans cette grande exposition et ce volumineux catalogue, c'est qu'il a fait de nombreux portraits des membres de sa famille et de ses amis. Une autre chose peu connue, c'est qu'il beaucoup aimé peindre des scènes intimes, ce qui le rapproche de l'esprit d'une nouvelle génération de créateurs, les Nabis. Mais il est plus connu pour ses vedute, comme, par exemple, les jardins de la maison de sa mère à Yerres.
Il a été l'élève de Léon Bonnat, mais n'a pas suivi sa voie. Il a appris auprès de lui de solides connaissances techniques, mais n'a pas adopté une posture académique à son exemple. L'année suivant son échec, il a pris part à la Seconde exposition des artistes indépendants au sein de la galerie Durand-Ruel. L'année suivante, il a présenté de grandes toiles avec des sujets urbains au cours de la troisième exposition.
En 1878, alors que se préparait l'Exposition universelle, il a eu l'idée d'une grande exposition, mais son projet a échoué. Lors de la quatrième exposition impressionniste, il a montré pas moins de vingt-cinq oeuvres. Un an passe, et l renomme aux paysages urbains pour accrocher aux cimaises de l'exposition des portraits et des scènes de canotiers, qui n'ont suscité que peu d'intérêt de la part du public. Il a offert La Leçon de piano à Claude Monet, qui l'a appréciée et à partir de 1882, il a peint des natures morts.
Au cours de cette décennie, il a eu la possibilité d'exposer à plusieurs reprises conservée toute sa vie. Il est à souligner qu'il n'a jamais vendu une seule toile et qu'il n'a jamais reçu de commandes. Son aisance financière l'a préservé des contingences matérielles, Et il est demeuré longtemps dans l'ombre, même après sa mort. Quand on visite cette grande rétrospective, on est assez surpris de cette désaffection.
Aujourd'hui on est marqué par la beauté et l'originalité de ses vues de Paris, en particulier par Un refuge, boulevard Haussmann (1880) ou par Boulevard des Italiens (vers 1880). Mais ce fut d'abord par ses représentations de scènes de canotages et ses jardins qu'il a pu retrouver l'intérêt des amateurs.
Caillebotte a collectionné les oeuvres de ses contemporains, bien que ces derniers l'aient parfois un peu critiqué, en particulier Monet et Pissarro, qui lui reprochaient de rester encore fidèle à l'enseignement de Bonnat. Il a néanmoins acheté trois tableaux d'Edouard Manet et une étude, huit d'Alfred Sisley, trois de Paul Cézanne, treize de Camille Pissarro, seize de Claude Monet. Ce don comptait soixante-trois oeuvres (vingt-cinq autres ont été récupérées par la famille).
Cette collection est une merveille car on y trouve La Liseuse de Renoir et de très belles compositions de Sisley. Les Degas sont également admirables. C'était un véritable trésor pour les musées de France. Cela a été une excellente idée d'adjoindre à cette exposition ce beau catalogue d'une collection qui a été l'émanation de sa foi en l'impressionnisme de ses pairs et amis, mais aussi une grande qualité dans le choix des ouvrages dont il a fait l'acquisition. Le tout aurait pu donner lieu à un petit mais merveilleux musée !




Transparents, John Armleder et le musée Barbier-Mueller, bilingue, Caroline Barbier-Muller, musée Barbier-Mueller, Genève.

John M Armleder est né à Genève en 1948. Il a sans doute représenté l'avant-garde la plus radicale de la Suisse, exposant à la Biennale de Paris de 1975, a représenté son pays à la Biennale de Venise, puis à la Documenta de Cassel. Ses créations ont été présentées un peut partout dans le monde. Bien sûr, on peut s'interroger sur sa présence dans ce prestigieux musée genevois qui conserve une collection unique d'oeuvres africaines, océaniennes, mais aussi de l'Europe antique. Il ne s'agit pas là d'une démonstration : son art, qui est issu de l'abstraction géométrique, et qui ensuite est devenu franchement inclassable (mais ce n'est pas un défaut, au contraire) ne dérive pas de l'art dit primitif (qui ne l'est d'ailleurs pas !). L'idée de cet artiste a été de mettre en scène des ouvrages en volume, comme Charybde, Scylla et aussi I'm alte, I'm Running for a Date, toutes de 2011.Cette dernière pièce contient des éléments figuratifs, qui lui attribuent une once d'humour. Split it III, de 2017, est une surface oblongue monochrome.
C'est l'une des créations en verre qui ont marqué cette année là, avec A Jean-Paul. Ce sont les « bulles en verre »). Ce n'est là qu'un bref aperçu de sa production au cours de ces deux dernières décennies. Mais avec Silvano de 2008 et Panorama de 2011, on peut constater qu'il est sans cesse en quête de nouvelles relations avec les matériaux entre le volume et la forme, qui échappe à toute référence dans l'art moderne.
John M Armleder est un étrange sujet de la méditation esthétique, qui sait surprendre par son originalité et son souci de ne pas tomber dans les pièges de la mode. Il tient à cette solitude, qui est un absolu pour lui, qui l'autorise à frapper l'imagination des spectateurs pour cet « en soi pour soi ». Et les objets des terres lointaines qui l'accompagnent sont de pures merveilles. Si vous passez par Genève cet été, n'hésitez pas à visiter ce musée d'exception et de voir cette belle exposition.



Sans-titre, Julien Blaine, Les Presses du Réel, 64 p., 9 euro.

Notre ami Julien Blaine a une fois de plus repris la plume et c'est une bonne nouvelle. Là, il parle plutôt de politique. Il a assumé des fonctions à la mairie de Marseille, il ne faut pas l'oublier. Sans doute je préfère quand il s'en prend à la vérité du monde artistique de son époque -, notre époque, qui n'est pas tout à fait satisfaisante, loin s'en faut. Il s'émeut des événements tragiques qui se déroule à Gaza. Qui n'en serait pas ému ?
Mais il oublie l'invraisemblable massacre commis par le Hamas, qui gouverne la bande de Gaza et qui a profité de la générosité du monde entier pour construire une quantité phénoménale de tunnels sophistiqués pour attaquer Israël et y enfermer un certain nombre d'otages, dont une bonne partie sont déjà morts. Je le répète : nul ne saurait être indifférent à la situation du peuple palestinien. Mais à qui la faute ? N'avez-vous pas remarqué qu'une nation occidentale ne se prononce jamais sur ce sujet : la Grande-Bretagne.
Les Anglais avait promis un Etat aux Juifs en 1917 (celle-ci a été filmée : Franz Kafka l'a vue et moi aussi). Plus tard, ils ont promis un Etat pour les Palestiniens. Quand il se sont retirés de ce territoire, ils ont laissé les choses en l'état. Le lendemain de la déclaration de la fondation d'Israël, la jeune nation a été attaquée par six nations arabes et bien sûr par les Palestiniens. Ce pays, dont Joseph Staline avait été l'instigateur, (un livre a été écrit par un brillant historien sur le sujet), tout comme la Palestine ont dès lors été l'enjeu des grandes puissances de ce monde, soutenus par celles de moindre importantes.
Bien sûr l'actuel gouvernement d'Israël est condamnable avec ses religieux ultra-orthodoxes et son premier ministre méprisable. La colonisation de la Cisjordanie est scandaleuse. Oui, tout cela est vrai. Mais rien ne justifie la détestation d'Israël, seul responsable aux yeux de notre planète. Voilà ce que je voulais lui dire. Je sais que sa position part d'un bon sentiment, mais il devrait aller fouiller l'histoire pour comprendre les racines de ce mal. Et pas besoin de remonter aux guerres juives contre les Romains relatées par Flavius Joseph ! Je ne déconseille pas ce livre car on y trouve sa légendaire verve, sa gouaille inimitable qui réconforte en ces temps peu aimables. Bien au contraire !




Tras Lorca por Nuevo York, obra 2017-2019, Santiago Arranz, Ambit

Est-il nécessaire de rappeler que Santiago Arranz est l'un des plus brillants artistes contemporains de l'Espagne ? Quand je l'ai connu, il peignait des taureaux, très stylisés, très massifs, comme la traduction de forces archaïques. Très vite, il s'est intéressé à la littérature. Mais il ne s'agissait pas pour lui d'illustrer les auteurs qu'il avait choisi, mais de leur donner une traduction plastique. C'est ainsi qu'il a fait une grande série de tableaux tous conçus sur un canevas identique, mais chacun d'entre eux étant exécutés avec des variations notables. Il s'agissait pour lui non de représenter la lettre des Città invisibile d'Italo Calvino. Plus tard, il s'est intéressé à Franz Kafka avec La Colonie pénitentiaire, et d'autres encore. Pour cette exposition qu'il a présentée au Colegio de Espana dans la cité universitaire de Paris. Il avait décidé de refaire le voyage accompli par Federico Garcia Lorca en 1929 pour découvrir New York. Il est allé voir tous les lieux dont a parlé le poète dans ses poèmes et dans ses notes en prose.
Il a ensuite utilisé le crayon pour enrichir ces photographies. C'est là à la fois un documentaire et aussi une suite de pensées sur ce qu'il a pu vivre lors de son séjour américain. Ainsi, nous le suivons pas à pas tout en découvrant ce que le peintre a pu éprouver au cours de ce pèlerinage. C'est à la fois passionnant et émouvant, fantasque et cependant fidèle à sa biographie. Arranz est parvenu ainsi à nous restituer l'expérience de Lorca et la conjuguant à sa propre expérience de cet écrivain qu'il admire tant. Ces oeuvres sont à la fois un hommage et une interprétation personnelle de ce qu'il lui a inspiré. Il a transformé New York en une sorte de labyrinthe. C'est un mode de circumambulation qui ne passe plus par les mots, mais par des digressions plastiques.
Nous sommes ici les compagnons d'Ulysse qui se retrouvent à marcher dans ces rues qui ont été le territoire de l'inspiration du poète. Ce volume est une merveilleuse introduction à la démarche de notre artiste et aussi la manière dont il est capable de s'imprégner de la parole de son sujet. Il n'est pas plongé dans la littérature plus belle que celle-là car elle n'a lieu que dans un univers qui est celui de l'art.




Le musée Jacquemart-André, histoire et collections, Hazan / Musée Jacquemart-André, 194 p., 32 euro.

Quand Nély Jacquemard-André est morte en 1912, elle a fait don de l'hôtel que son mari, Edouard André (1833-1894) avait fait construire par l'architecte Henri Parent en 1868 sur le boulevard Haussmann dans le pur style éclectique caractéristique de l'époque du Second Empire. Edouard André, fils d'un riche banquier nîmois, a été tenté par la carrière militaire. Mais il y a renoncé assez vite. Plus tard, il a été tenté par la politique, mais n'y a pas eu de succès. Mais l'importante fortune de son père lui a permis de vivre son existence sans devoir travailler.
Depuis 1860, il s'est déjà beaucoup consacré à ses collections, Puis il fait l'acquisition de la revue La Gazette des beaux-arts. Il a épousé en 1881 Nélie Jacquemart, fille d'un marchand de couleurs renommé. Celle-ci a démontré des dons pour l'art très tôt et elle est entrée à l'académie de Léon Cogniet. Elle est allée étudier à Rome à l'Académie de France puis a exposé au Salon en 1863 (elle n'a que vingt-deux ans). Edouard et Nélie André ont beaucoup voyagé et ont rapporté de leurs périples, dans toute l'Europe mais surtout en Italie de nombreuses oeuvres qui ont enrichi leur collection.
On peut y voir des ouvrages de Giambattista Tiepolo, de Sandro Botticelli, d'Andrea Mantegna. Mais ils n'en négligent pas moins les peintres du Nord, comme Rubens et Van Dyck. Ils ont aussi possédé énormément d'objets de toutes provenances, ainsi que des incunables enluminés. Ils n'ont pas négligé pour autant la sculpture et les arts décoratifs. Ce qui est intéressant dans ce riche musée est qu'il a conservé l'apparence d'une collection privée. Il n'y a pas de pièces monumentales mais de petites merveilles, telle La Vierge à l'enfant de Luca Signorelli et celle du Pérugin. Ce catalogue révèle au lecteur la totalé des pièces conservé dans ce lieu qui peut être considéré comme un des lieux magiques de l'art à Paris.




Métamorphoses, migration, Adonis, nouvelle traduction de l'arabe par Aymen Hacen, Mercure de France, 174 p., 20, 50 euro.

Né en 1930 en Syrie, Adonis (de son vrai nom Ali Ahmed Saïd) est né et a vécu ses jeunes années dans une région agricole. Puis il a passé son baccalauréat en 1949 et a fréquenté des cercles de lettrés. Après avoir fait six mois de prison pour ses activités politiques, il s'est installé au Liban. Là, il a participé à plusieurs revues littéraires, et a commencé à écrire de la poésie. Il a fondé en 1968 la revue Makâkif (Position). Il a traduit en arabe Henri Michaux, Charles Baudelaire, Saint John-Perse.
Son premier recueil a paru en 1954. De nombreux autres ont suivi. Il est considéré en France comme le plus grand poète de langue arabe vivant. Cette traduction nouvelle donne à ses poèmes une tonalité très classique. Je serai bien en mal d'affirmer avec certitude qu'elle est judicieuse, mais, en tout cas, elle donne en français une beauté et une finesse peu commune. Quelque soit le sujet traité, il a été un maître de la métaphore et aussi a fait preuve d'une concision et d'une pureté peu communes. Chaque poème porte en lui un univers intense et complexe alors que son expression est très dépouillée. On pourrait difficilement le classer dans une catégorie précise ou dans un courant défini. Il sait très bien associer-une sorte de classicisme avec des visions presque de caractère surréaliste. Cette-densité et cette richesse le rendent vraiment unique. Et puis il sait-à la perfection exprimer ses sentiments et tisser un récit personnel sans jamais verser dans le sentimentalisme ou l'égotisme. On ne peut qu'admirer son écriture, mais aussi le flamboiement de sa pensée qui se révèle d'une profondeur indubitable. Cette traduction fait de lui un poète français au plein sens du terme. Cependant, son univers possède une dimension plus vaste. On eut donc le regarder comme un auteur digne d'admiration. Il est passé maître-dans cet et art si difficile de joindre la beauté et la méditation, l'élan vital et la sagesse.




Extravances, Emmanuel Pierre, La Table Ronde, 144 p., 22 euro.

Le collage a tenu un rôle de premier plan dans la culture du XXe siècle. Il n'est que de songer à Max Ernst ou à Jacques Prévert. Les figurines élaborées par Emmanuel Pierre ont de particulier non seulement leurs formes étranges, mais aussi les légendes qui les accompagnent, qui révèlent chaque fois une identique drolatique. L'humour qui a été au fondement de leur création se double d'une sorte d'histoire qui ne peut exister que dans un imaginaire plein d'esprit et d'un caractère ludique. Les noms qu'il a donnés à ses « sbires » (c'est ainsi qu'il les appelle (il parle aussi de zèbres)) les inscrit dans ce qui serait un rêve ou une hallucination qui n'est pas sans rappeler les monstres fantasques attribués à François Rabelais.
Mais s'ils font bien rappeler les êtres fantastiques qu'on a attribués à François Rabelais. Mais s'ils ont un même caractère de bizarrerie, Ils ne sont pas effrayants, divertissants et insolites tout au plus. C'est un divertissement qui construit une trame dans l'irréel du monde que l'auteur s'est ingénié à construire. On ne saurait trop dire combien cette collection de personnages colorés est fascinante et plaisante. Ils constituent les pions surprenants et délirants aux formes énigmatiques et baroques. L'invention verbale et l'invention plastique ne font qu'une.
Il n'est pas aisé de reconstruire ce qui pourrait être la trame de ces successions d'acteurs et d'actrices qui se produisent sur une scène où tout est sens dessus dessous. Emmanuel Pierre, qui est donc à la fois écrivain et artiste a le pouvoir de nous conduire dans un dédale foisonnant où nous sommes soumis aux forces chtoniennes de la dérision. Je vous met au défi de ne pas vous laisser enchanter par ce défilée de monstres aimables et risibles.
Gérard-Georges Lemaire
24-10-2024
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